Interview / Alexandre "Cotinz" Neaime

Nous vous avons déjà présenté M'sieur "Cotinz", ici, notamment lors de notre Semaine Brésilienne, mettant en avant ses qualités de skateur tout comme de réalisateur… Demain, date exacte de la découverte du corps de Laura dans la série Twin Peaks (le Cotinz est pointilleux sur les dates!) , il nous fait l'honneur de vous présenter en exclusivité Doppelganger, sa toute nouvelle production vidéo, sorte d'ode au versant plus underground du skate de son pays… D'ici-là, pourquoi e pas en apprendre un peu plus sur un sacré personnage?
 
 Benjamin Deberdt
 
LiveSkateboardMedia : OK Cotinz, commençons par ton parcours. Quand as-tu commencé le skate, et depuis quand es-tu basé à São Paulo? Dans un article précédent, j'ai cru lire que tu vivais de canapé en canapé, en quoi consiste ton lifestyle exactement? Depuis combien de temps filmes-tu, et combien de temps t'a-t-il fallu pour réaliser cette nouvelle vidéo, Doppelgänger?
Cotinz : J'ai habité à São Paulo toute ma vie, j'y ai commencé le skate en 1998 et immédiatement, j'ai été captivé par la réalisation de vidéos, j'ai commencé par emprunter la caméra de mon père que j'embarquais avec moi tous les jours jusqu'à ce qu'elle finisse par me lâcher. Autour de 2000, je l'ai tellement agacé qu'il a fini par m'offrir une nouvelle caméra - une hi-8 - et je me suis tout à coup retrouvé dans la position du mec en charge du montage de tout ce que l'on filmait alors, en raccordant deux magnétoscopes. On a alors fait deux vidéos à l'époque, appelées Nóis ("nous" en Portugais, puisqu'il s'agissait de nous en train de skater), pour lesquelles on a fait très exactement quatre copies VHS.
 
Plus tard, je suis allé à l'université étudier la communication et le design graphique, occasion à laquelle j'ai acheté une caméra mini-DV et un baby death lens avec l'argent de ma bourse. J'ai alors commencé à filmer plein de bons skaters, grâce à mon meilleur pote, Renato Custodio, qui était un grand skater / photographe / artiste et travaillait déjà pour les magazines. Un jour, pendant une pause entre deux cours, je suis allé à la cafét' et il y avait Luan Oliviera, juste à à ne rien faire, qui m'attendait pour qu'on aille filmer. Tout à coup je me suis dit: "je vais en cours avec trente personnes, et personne pour filmer un mec comme Luan?". Du coup je me suis éclipsé pour la journée, et à vrai dire, je ne suis jamais revenu.
 
Après ça, j'ai fait trois full lengths: une avec cette mini-DV 1CCD glanée grâce à ma bourse, puis deux autres avec de "vraies" caméras. En fait, j'ai carrément eu une Panasonic DVX-100b entre les mains dès le départ, mais mon partenaire l'a bousillée (merci, Zokreta) puis elle a été volée au magasin alors qu'en cours de réparation. Du coup, j'ai chopé une VX, c'était en 2007.
 
Au même moment, Renato et moi, ainsi que quelques autres amis nous sommes lancés dans une boîte de production répondant au nom de Antihorario ("sens inverse des aiguilles d'une montre"), avec laquelle on a fait plein de clips en free-lance pour des marques de skate, mais personnellement je suis toujours resté concentré sur les "vraies" vidéos.
 
Fin 2008, j'ai sorti Vol. 1 Lado B et, juste après, avec la boîte, on s'est fait rentrer dedans par un méchant éditeur de magazine qui, à la base, nous aidait, puis s'est affolé en nous voyant grandir et craignait que l'attention se porte plutôt sur nous que sur lui. Après cette expérience horrible, j'ai préféré continuer en solo et j'ai réalisé ce que je considère mon chef d'oeuvre, Beats sorti en 2011.
 
J'ai commencé à en avoir marre des prises de tête à faire des full lengths, du coup je me suis principalement concentré sur le skate, à nouveau, et j'ai plutôt réalisé des vidéos hors skate en free-lance jusqu'à ce que mes sponsors perdent la tête en 2015, et me passent pro.
À la fin de l'année, je me suis séparé de ma femme et un sponsor de shoes m'a contacté - le scénario parfait pour me barrer de São Paulo et dépenser l'argent de mon loyer en herbe - un chemin que je persiste à emprunter depuis plus d'un an maintenant, à dormir de canapé en canapé, accumuler du footage pour mes parts en nomade dans plein d'endroits différents, fréquenter de nouvelles femmes et juste kiffer, en général.
 
Cette nouvelle vidéo est principalement la résultante d'avoir été à de multiples occasions le seul mec dispo avec une caméra, quand j'étais encore à São Paulo - ensuite, après avoir couché tous ces clips sur une timeline, j'ai décidé de filmer un peu plus en 2016, histoire de combler les bancs dans le montage et terminer la musique. Rien à voir avec mes vidéos précédentes, lesquelles ont drainé toute mon énergie à leurs époques respectives, en tout cas, je me suis amusé.
 
LSM: Pourquoi avoir donné une place aussi importante à Felipe, dans ce nouveau projet? Qu'est-ce qui le rend si spécial?
Cotinz : Et bien, je ne sais pas, tu as vu sa part, non? [rires] Je ne sais pas, il est juste trop fort, c'est le genre de kid qui sait tout faire. Il pourrait filmer une part complète de curb tech et les gens le remarqueraient tout autant. Le filming de l'intégralité du projet a été super organique, je n'ai pas une seule fois eu l'impression d'être en mission, si tu vois ce que je veux dire. J'ai juste chopé une nouvelle VX et je me suis retrouvé à skater beaucoup autour de Felipe et Luis, naturellement car ce sont de bons potes.
 
Je pense que la chose la plus spéciale à propos de Felipe, c'est qu'il veut juste se marrer tout le temps. La vie, c'est pour s'amuser, et ces gars-là incorporent vraiment cette vision à leur lifestyle en général et ça se ressent dans leur skate. C'est à mes yeux ce qu'il est le plus important d'avoir dans le skate : la sincérité. J'apprends beaucoup autour de ces kids, je les aime énormément.
 
LSM: Comment as-tu sélectionné le reste des skaters pour ce projet?
Cotinz : Comme je viens de le dire, filmer pour ce projet n'a jamais été une mission, de ce fait je n'ai jamais vraiment choisi. C'est juste un genre de collection de potes, que cette vidéo.
 
J'ai dépanné des types avec leurs propres projets, mais à chaque fois, lorsque d'autres types étaient à se trouver là, en train de skater, je les filmais eux aussi. Certains d'entre eux viennent du Pérou et d'Argentine, ils sont venus visiter São Paulo, je faisais le guide touristique en quelque sorte, et il se trouvait juste que j'amenais aussi la caméra.
 
Denti, le gars qui a la dernière part dans la vidéo, avait cette cassette qu'il voulait que je lui numérise, tout simplement, je lui ai donc rendu ce service mais aussitôt après avoir vu le footage sur ladite cassette, j'ai su que je devais lui piquer, et le garder pour moi (rires). Ensuite on est retournés filmer un jour ou deux et c'était tout... C'est vraiment juste les gens avec qui je skate.
 
 
LSM: Donc parmi eux, qui vient de São Paulo exactement? Juste pour avoir une idée précise de la scène.
Cotinz : Denti y habite, mais il est originaire d'une plus petite ville au sud, et ne s'est retrouvé intégré au projet que tout à la fin. Balado vient de São Paulo, mais on a filmé ailleurs.
 
Honnêtement, j'ai juste fini par en avoir marre de toujours traîner mon sac caméra partout, donc les seules fois où je me suis retrouvé à filmer "exprès" pour la vidéo ont été quand Felipe et Luis sont venus à Florianópolis, ainsi que cette autre nuit, avec Denti. Ca a d'ailleurs été dur pour tout le monde de me motiver à sortir la caméra [rires].
 
J'ai pas mal aidé mon ami Victor Sussekind - de Florianópolis - sur sa part tout à la VX (gardez d'ailleurs un oeil là-dessus), pour laquelle il était question de filmer là-bas, j'y ai donc passé quelques mois et ai également filmé quiconque se trouvait skater avec nous. Je suis aussi allé à Goiânia, et j'ai skaté avec plein de types de là-bas, mais la plupart des clips que j'ai utilisé de cet endroit ont été filmés par un autre pote qui, lui, se trouvait là pour me filmer moi. Et d'autres clips encore m'ont été envoyés par des potes que j'ai rencontré en chemin ; sachant que pas mal de gens regarderaient cette vidéo - à cause de Felipe et d'autres skaters connus y figurant - j'ai voulu en profiter pour également montrer la relève, j'entends par là les kids les plus cools de ces coins-là. Valeu Kahlany ! Valeu Bagata!
Mais c'est vraiment juste un choix perso, si je sortais ma caméra tout le temps, j'accumulerai du footage toute la journée, et je pourrais faire des vidéos de 20 minutes tous les deux ou trois mois, comme Murilo le fait avec Flanantes Series à São Paulo qui est vraiment l'épicentre de l'industrie et où, étant donné la taille de la ville, il est très facile de rencontrer de nouveaux skaters et de trouver de nouveaux spots, bien que tout le monde persiste à se rencarder encore et toujours à la plaza Roosevelt.
 
Il se passe vraiment BEAUCOUP de choses à São Paulo et au Brésil en général, que ce soit en Amazonie, à Goiânia qui est pile au centre, à Rio, ou encore ces mecs de São Paulo qui font des vidéos sur Bahia, il y a vraiment une effervescence de bon contenu, en provenance de trop de sources pour que j'arrive à toutes les mentionner.
 
LSM: Comment l'idée du concept Twin Peaks t'est-elle venue? Si l'un de vos spots devait être la Loge Noire, quel serait-il? Dans sa part, Fernando Denti est-il un doppelgänger (sosie) possédé par Killer Bob, ou est-ce l'herbe que l'on voit fulminer entre ses tricks qui est très puissante?
Cotinz: En fait je regardais la série pour la troisième ou quatrième fois, et à force de remarquer à quel point la musique était géniale, j'ai téléchargé l'album de la BO et j'ai commencé à l'écouter tout le temps. La bande-son est incroyablement touchante, je trouve, surtout "Falling", le générique qui est aussi, du coup, devenu celui de la vidéo Doppelgänger. Angelo Badalamenti, le compositeur, est vraiment fort, ces morceaux m'ont hanté pendant longtemps… Ce qui a bien évidemment cessé dès que j'ai commencé à les utiliser pour le montage. Les réalisateurs de vidéo de skate ne comprendront que trop bien ce que j'entends par là…
 
En tout cas, après avoir capturé les clips, ces morceaux ont été les premiers que j'ai essayé d'employer sur la timeline et il s'est avéré qu'ils fonctionnaient mieux que ce que je pensais. Pour compléter le tableau, j'ai demandé à quelques-uns des gars de pousser à l'envers quelques fois et c'est tout, tout le reste, c'est du boulot avec la BO de la série. Le travail de Lynch est principalement basé sur l'atmosphère, et de ce fait, son univers sonore fonctionne bien sur du skate.
 
Pour le reste de la soundtrack, les morceaux joués au ralenti, il s'agit de musique romantique populaire des années 90, des trucs bien "cheesy" qui sont un genre d'évolution de la samba, mais en aucun cas comparable à la qualité des trucs plus roots. C'est le genre de musique à ne surtout pas associer au skate dans l'inconscient collectif (ou à la rigueur pour une blague), mais je trouvais le côté populaire plutôt cool, et puis je les ai ralenti pour un côté plus vaporwavey, afin de rester dans l'ère du temps.
J'ai quand même essayé de ne pas trop coller à la série, juste d'en retenir un fond de caractère, de par certaines références telles que le contraste entre les clips de jour et les clips de nuit, ainsi que la date de sortie (le 24 février).
 
Et pour Denti, non, il est trop gentil pour être Bob, et l'herbe n'y est pas pour grand chose, Denti est un génie! C'est le genre de mec à écrire un morceau, l'enregistrer, faire les copies des cassettes, faire la pochette, faire les flyers pour le concert, monter le clip vidéo et skater dedans. C'est trop cool de traîner avec lui, même si parfois son cerveau fonctionne si vite qu'aucune herbe ne saurait l'enrayer, au contraire, ça le précipiterait encore plus! [rires]
 
Personne n'est Bob et aucun spot n'est la Loge Noire, mais la part avec Nicolas Cespedes et les autres gars d'Amérique Latine est assez représentative du délire. Je les adore tous mais quand ils sont passés, je gérais pas mal de difficultés personnelles en même temps et une nuit, on s'est embrouillé avec un chauffeur de taxi au point de finir en cellule de dégrisement - une situation dans laquelle il ne faut surtout pas s'endormir, c'est le Brésil après tout. C'était bien glauque, mais bon, on s'en est tous sortis et tout va bien maintenant.
 
LSM: Alexandre Calado a du chouette footage dans ta vidéo. C'est un local? Et le morceau que tu lui as flanqué semble me crier "TONY HAWK" dans les oreilles à chaque refrain, je n'arrive pas à "dés-entendre" ça.
Cotinz: Oui c'est clair, ce mec n'est pas suffisamment connu eu égard de son talent, je ne sais pas pourquoi. Il a une part qui sort bientôt, pour laquelle il a filmé pendant trois ans, donc j'espère que ça l'exposera davantage, si tant est que ça l'intéresse. Il est de São Paulo, mais c'est à Goiânia qu'on s'est croisé, on y a skaté un aprèm puis on est allé à Brasilia pour quelques jours, donc en gros, tous ses tricks dans la vidéo ont été filmés sur trois jours. C'est le type le plus cool! Salve Testa!
 
Et son morceau, dorénavant, je vais être incapable de l'écouter sans entendre "Tony Hawk" moi aussi. Tu me l'as complètement gâché! [rires] J'aimais bien cet album et je voulais une musique différente pour Alexandre puisqu'il skate différemment des autres skaters de la vidéo. Mais c'est une bonne rupture du rythme je trouve! Un break, sans casser l'ambiance générale pour autant.
 
LSM: Terminons avec ce qui se profile pour toi à l'avenir. Des projets? Des voyages, peut-être? La Troisième saison de Twin Peaks est sur le point de sortir, 25 ans après le dernier épisode, tu comptes sur des royalties?
Cotinz: David Lynch n'arrête pas de m'appeler pour que je réalise quelques épisodes pour lui mais il n'arrive pas à me débloquer des fonds… [rires] Sans rire, j'ai hâte de voir ce qui va arriver au détective Cooper après cette histoire avec Bob.
 
En ce qui me concerne, personnellement, pas de gros projets, juste faire du skate et profiter de la vie. Je suis toujours en mode "filming pour une part", mais pour moi c'est comme une procédure standard maintenant, pas de pression comme celle d'un gros projet en perspective ou quoique ce soit, ça fait juste partie de ma vie et heureusement que je le vis comme ça. Mes sponsors vont sortir quelques parts de moi dans leurs prochaines vidéos, qui sont déjà prêtes, et sortent bientôt : la marque de headwear De.Part, et Crail trucks. J'ai hâte de voir ces vidéos, toute l'équipe est folle.
 
Là, tout de suite, je suis à Buenos Aires, et Denti et notre pote Dodo sont en route pour nous rejoindre, ça fait plus de 24 heures de bus. Vraiment content pour ça. J'espère pouvoir partir en Europe cette année, skater des non-spots français et powerslider jusqu'à ce que mes roues s'effondrent. Je plaisante, je les paie encore, donc elles devront me tenir tout le trip. Et là j'ai quelques patates douces au four qui… oups… viennent de cramer…
 
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