Meeting… Leo Valls!
LIVE Skateboard Media : Salut Leo ! Où te trouves-tu et que fais-tu, en ce moment ?
Leo Valls : Oï oï, Aymeric ! Je suis à Los Angeles en ce moment, pour passer les fêtes avec ma belle-famille.
LSM : Bonnes fêtes, alors ! Bon, entre ton passif de dix ans de footage au fish-eye et ton compte Instagram qui pète le score, les gens ont tôt fait d’associer ton skate à quelque chose d’ultra dynamique, autant dans sa pratique que dans sa présentation. Comment as-tu été amené à rencontrer Blake Myers, et qu’est-ce qui t’a intéressé dans sa démarche - plus expressément contemplative et au tempo plus posé que celle d’un Yoan Taillandier, Zach Chamberlin, Colin Read, Chris Thiessen ou Julien Januszkiewicz ?
Leo Valls : J'ai rencontré Blake en allant passer du temps en Californie, il bossait pour le magazine What Youth et s'occupait de faire tout leur contenu vidéo. On est allé filmer ensemble et on s'est de suite très bien entendu.
Il est assez discret, et je me souviens avoir complètement oublié qu'il était sur le spot en train de me filmer. Je pense que c'est une qualité pour un filmeur ; ça permet souvent de capturer des images de skate plus authentiques et naturelles.
Blake touche à tous les formats, et il filme aussi beaucoup de surf ou tourne des petits documentaires, il sait exactement ce qu'il veut. On a regardé pas mal de vidéos de skate et de surf tournées au film super 8 ou 16mm (essentiellement signés Thomas Campbell), et il m'a parlé de son envie d'investir dans la 16 et de faire un projet ensemble, bien que ce soit une démarche longue et coûteuse.
C'est intéressant car, par exemple, tu sais que tu n'as que quelques essais pour faire ton trick, et que tu ne pourras pas voir si tu l'as fait à ton goût avant que la bobine ne soit développée - soit quelques semaines plus tard... C'est aussi le choix d'un rendu plus poétique, qui permet peut-être de mieux capturer l'essence d'un lieu en particulier, voire de téléporter le spectateur au milieu de la session ; et ça, c'est quelque chose qui m’intéresse en skate depuis bien longtemps. En tout cas, c'est ce qu'on essaie de faire avec ce projet.
Personnellement, je suis fanatique de vidéo depuis toujours ; je regarde beaucoup de films et j'adore faire du montage, qu'il s'agisse de vidéos longues ou de petits clips rapides (comme ce qu'on fait avec Seb Daurel et le "Sebdoshow", par exemple).
"J'ai eu la chance de rencontrer des génies du skate, de Mark Gonzales à Takahiro Morita ; quand tu es un petit skateur bordelais, il y a de quoi être inspiré"
Au passage, je pense que mon film préféré depuis des années est probablement "Down By Law" de Jim Jarmusch, avec Roberto Benigni et Tom Waits. Benigni joue son personnage d'Italien poète enfermé dans une prison de la Nouvelle-Orléans avec deux autres détenus américains. Très peu d'action, beaucoup de scènes de gens qui s'ennuient en prison, de l'humour noir, et une vrai sensation d’immersion ; le film est trouvable en deux clics sur les internets, si le coeur vous en dit de vous faire une petite pépite.
LSM : Admettrais-tu qu’au fond, par le biais du skateboard, tu te cherches ? Tout le monde est plus ou moins consciemment en proie à une certaine angoisse existentielle, et il me semble que nombreux sont les skaters qui misent sur leur pratique comme un moyen de définir leur propre personnage, tâtonnant à la recherche de leur identité. Dirais-tu que cette décennie passée, au rythme explosif et fougueux, a constitué un genre d’introspection à l’énergie presque juvénile et que, maintenant que tu as poussé et trouvé ton propre style, transcendant tes influences originelles, tu en es arrivé à une étape plus mature, peut-être plus affinée ou en tout cas mieux comprise ? Etrangement, représenté tel que dans ce premier clip avec Blake, tu sembles davantage en harmonie avec toi-même, comme serein de t’être enfin cerné. Ce soulagement est-il réel et quoiqu’il en soit, crois-tu que cette expérience de travail avec quelqu’un comme Blake influencera tes choix esthétiques à l’avenir ; ou bien fais-je fausse route et doit-on, a contrario, s’attendre à davantage de Leo Valls sur du KRS-One, plus frénétique qu’apaisé, le tout en pleine période de Jeux Olympiques ?
Leo Valls : Haha, merci Aymeric, je ne pense pas réussir à faire une réponse plus longue que ta question, mais je vais essayer d'y répondre !
Evidemment que tout le monde se cherche en permanence - c'est d'ailleurs très important d'être toujours à la recherche de soi-même, à travers de nouvelles expériences. C'est quelque chose qu'il faut apprendre à cultiver, être capable de se remettre en question et d'évoluer.
Je pense surtout qu'au fil des années et de mes voyages, j'ai été influencé par beaucoup de courants différents, beaucoup de personnalités différentes. J'ai eu la chance de rencontrer des génies du skate, allant de Mark Gonzales à Takahiro Morita ; quand tu es un petit skateur bordelais, il y a de quoi être inspiré.
LSM : Depuis tes premiers clips avec Yoan pour Metropolitan à Takahiro Morita au Japon, en passant par Colin Read ou encore des pointures telles que Richard Hart ou Shinsaku Arakawa pour la photo, tu as toujours cherché à t’entourer de réels artistes maîtrisant réellement leur support afin d’immortaliser ton skate. Blake est passionné du format 16mm qui est rarement utilisé dans le skateboard de nos jours car aussi coûteux en numéraire qu’en labeur, mais vecteur de réelle qualité cinématographique (cf. vieilles vidéos Powell ou TransWorld), du fait de sa préciosité - il s’agit d’un format sublimant réellement le moment documenté, autant que possible à sa juste valeur, plutôt que d’une matière recyclable vouée à l’archivage mécanique d’enchaînements de cascades. Bref, ça change des mégapixels pour Instagram carré… Alors, pourquoi cette apparente volonté générale de t’appliquer à travailler principalement avec des mordus géniaux - un désir de qualité, de postérité peut-être ?
Leo Valls : C'est vrai que comme je le disais, j'ai eu la chance de pouvoir m'entourer de créatifs et de personnalités fortes. A travers les projets vidéo sur lesquels j'ai pu travailler par le passé, j'ai rencontré tout un panel de filmeurs et de photographes passionnés et créatifs, essayant tous de sublimer leur art de manière personnelle, plutôt que de façon à plaire au plus grand nombre de spectateurs.
"Le monde est petit et le monde du skate de rue l'est encore plus"
Il y a souvent une relation forte qui s'installe entre filmeur et skateur - ou photographe et skateur - surtout lorsqu'on en vient à imaginer des projets communs ensemble.
C'est souvent en voyageant, et en allant voir les gens directement, qu'on établit ces connections. Le monde est petit et le monde du skate de rue l'est encore plus.
Pour te donner un exemple, en 2013, mon désormais ami Josh Roberts - qui vient d'Australie - m'a envoyé un DVD par la poste de sa toute première video : "Domingo". Je ne connaissais ni Josh, ni son travail, et j'ai été agréablement surpris par la qualité et la sincérité de sa video. Du skate de rue brut et honnête, visuellement simple mais inventif, mettant en avant l'esthétique de la ville de Perth... Plutôt que des skateurs essayant à tout prix de faire les figures les plus dures dont ils seraient capables. Par la suite, en 2014, nous nous sommes rendus à Perth avec Jimmy Lannon et Koichiro Uehara, sans jamais avoir rencontré Josh avant, pour filmer la vidéo Magenta "Crossing the Perth Dimension". Trois semaines de skate à Perth plus tard, nous étions tous amis avec Josh et son équipe.
Depuis, Josh nous rejoint souvent sur des voyages ; on l'a retrouvé à Dubai, il y a quelques mois.
LSM : Pour en revenir au skate vecteur de recherche existentielle - en étendant cette réflexion au niveau purement géographique, on peut logiquement se demander si ton goût prononcé pour les voyages (et ce, même avant l’explosion de Magenta et la régularité des trips organisés, avant lesquels tu partais déjà régulièrement à San Francisco, au Japon…) ne correspond pas, lui aussi, à une forme de quête de soi. Qu’en penses-tu ? Quand et comment as-tu commencé à voyager, d’ailleurs ? Le thème du lieu est clairement au coeur du concept de ce travail amorcé avec Blake. Tu pourrais te contenter de simplement placer l’environnement urbain au niveau lambda au rang d’accessoire dans ce que tu filmes, mais non, tu sembles mettre un point d’honneur à présenter chaque ville individuellement, avec ses spécificités, ses places, ses ruelles, ses parfums, sa complexité, tel un tour guide aux roues qui crissent un peu plus fort que celles des autres. Cela a-t-il un sens pour toi ?
Leo Valls : J'ai toujours vu l’environnement comme une notion principale dans la présentation qu'on peut faire du skateboard. Je trouve très intéressant le fait qu'une scène locale puisse skater en fonction de l'environnement urbain et culturel dans lequel elle évolue.
C'est le contraire d'une forme de globalisation du skate, selon laquelle toute la planète skaterait de la même façon, selon les mêmes codes, tous issus de la même zone géographique. C'est ce qui fait aussi la richesse du skate aujourd'hui.
"Je pense que ce qui rend le mieux visuellement est ce qui fait du bien physiquement"
Je crois que j'ai compris ça en passant du temps au Japon, et en rencontrant la scène japonaise, qui a tendance à pousser son propre style et sa propre identité.
Par exemple, personnellement, j'aime faire du flat, des powerslides et du ledge, probablement parce que j'ai grandi à Bordeaux et que c'est essentiellement ce qu'il y a à skater ici : des rues et des ledges en marbre. On est très peu fourni en rampes d'escalier ou "handrails" par exemple - c'est quelque chose qui va plus exister en périphérie, et très peu en centre ville au final, si tu compares avec la quantité de rails que tu trouves dans les villes américaines construites plus récemment.
LSM : L’apprentissage de chaque trick revêt une intention (plus ou moins consciente) de la part du skateur qui s’y adonne. Dans le cas de quelqu’un pratiquant depuis longtemps, et ayant donc connu une certaine évolution personnelle parallèlement à ladite pratique, c’est drôle de voir à quel point sa "palette" de mouvements finit par comprendre des tricks appris à un moment de la vie de l’individu où il ressentait certaines émotions, certaines pulsions. Par exemple, certains éléments du répertoire d’un skateur reflètent des intentions de démonstration spectaculaire (par exemple, dans ton cas, certaines manoeuvres bruyantes et visuellement tordues comme les noseblunt powerslide ?), tandis que d’autres témoignent d’une simplicité, d’une expression plus classique (disons un switch flip, ou un nollie tailslide). Au bout de, mettons, vingt ans de pratique, ce sont des pans entiers du développement de l’individu qui persistent à subsister et à se mélanger au sein de son style de skate, comme autant de touches, vestiges d’une patte passée. Dirais-tu qu’il s’agit-là de ton cas ? Dans ce nouveau footage, c’est plutôt intéressant de te voir ressortir d’un intemporel nollie tailslide to fakie en powerslide one-foot, ou juxtaposer élémentaires noseslides et nollie back lips avec des combos de noseblunt powerslide to wheeling…
Leo Valls : Ce qui se traduit en skate, c'est l’énergie, le niveau de passion et de plaisir exprimé, et je pense que ce qui rend le mieux visuellement est ce qui fait du bien physiquement - peu importe la manière dont tu skates.
Je refuse de voir le skate comme une sorte de contrôle au collège - contexte selon lequel l'industrie du skate serait un professeur, distribuant des devoirs, par le biais desquels nous, skateurs, on essaierait de lui faire plaisir, pour avoir une bonne note.
Je pense souvent à ce que dit Ben Gore, lorsqu'il skate les downhills de San Francisco : "fais les tricks avec lesquels tu te sens bien, et adapte-les à ton environnement, à de la vitesse, à des spots biscornus"...
Je reçois des messages ultra positifs de gens en provenance des quatre coins de la planète, plusieurs fois par jour, et rien ne peut me faire plus plaisir que de savoir que je peux inspirer et motiver des gens à être eux-mêmes.
LSM : Enfin, après avoir tergiversé sur l’historique de ton parcours, maintenant que l’on sait d’où tu viens, toi-même, as-tu une idée d’où tu vas ? Je sais que ces dernières années, tu as beaucoup travaillé sur la problématique des relations publiques impliquant les skateurs de Bordeaux - ville représentée dans ce premier montage - et la municipalité, perturbée par l’affluence des pratiquants au point de perdre pied et ne plus savoir comment y réagir. S’agissant de ta ville d’origine, cela apparaît comme une forme de retour aux sources ou en tout cas, de volonté à maintenir un pied-à-terre sur place, alors que parallèlement, il me semble que tu ne t’es jamais autant exporté, voyageant plus que jamais, explorant le monde et ses continents - peut-être à la recherche d’un point d’ancrage ? Alors, quid de l’avenir de Leo Valls ?
Leo Valls : Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait, mais je suis vraiment bien avec un pied-à-terre à Bordeaux et la possibilité de pouvoir voyager autant.
J'estime qu'il est important, en tant que skateur, de savoir rester local, et de s'investir pour faire avancer sa ville et sa scène.
Après avoir vécu en Californie et au Japon, je me suis rendu compte que ma ville d'origine avait quelque chose de spécial à offrir. C'est en allant voir ailleurs qu'on se rend compte du potentiel de ses terres d'origine.
"Bordeaux est en pleine expansion, et je vais continuer à m'investir"
Bordeaux n'a eu de cesse d'exploser, niveau skate, depuis une dizaine d'années ; c'est devenu un lieu visité par des crews de skateurs du monde entier, et je rencontre des nouveaux jeunes skateurs locaux chaque week-end. La ville a subi une explosion démographique du nombre de skateurs, et la municipalité n'a pas su réagir autrement qu'en interdisant le skate sur une partie des places du centre-ville, et en distribuant des amendes aux skateurs.
Entre ça, et l'édification d'un nouveau poste de police municipale juste à côté de la mairie, il était devenu très difficile de pouvoir skater certains des meilleurs spots du centre sans devoir prendre la fuite à la vue de la première patrouille de police. On a donc constitué un petit collectif à même de dialoguer avec le maire et ses élus, et on a proposé la solution d'être autorisé à skater ces places - auparavant interdites 24/7 - certains jours de la semaine.
La scène a majoritairement joué le jeu, et la ville est clairement en train de changer de point de vue sur la place skate en ville - en positif. Aujourd'hui, c'est devenu possible de se retrouver en nombre sur ces places qui posaient problème auparavant - et, surtout, de pouvoir skater le reste de la ville avec beaucoup moins le souci d'être constamment délogé.
Bordeaux est en pleine expansion, et je vais continuer à m'investir, afin de m'assurer que le skate avance dans la bonne direction et se voit intégré à l'évolution de la ville.