Meeting... Medium Skate Mag!

(photos par Will Jivcoff telles qu'extraites de Medium Skate Mag)

Alors que le débat fait rage concernant l'avenir du magazine format papier (sujet on ne peut plus d'actualité!), certains choisissent justement cette période charnière pour se jeter (à corps perdu?) dans l'aventure duDIT print media. C'est notamment le cas de Will Jivcoff (ex-Kingshit, entretemps devenu King Skateboard Magazine) avec Medium Skate Mag, une aventure dans laquelle il s'est lancé conjointement avec Joel Watamaniuk, le boss de Love Skateboards (la marque indépendante qui monte, notamment à force de collaborations affûtées avec Sergej Vutuc, ou encore Greg Dezecot...). A l'occasion du lancement du numéro deux de Medium (prochainement disponible par delà les frontières via Theories of Atlantis, le réseau de distribution du réalisateur Josh Stewart), LIVE Skateboard Media a réussi à intercepter les deux énergumènes susmentionnés, Will et Joel, donc, le temps de leur extirper quelques commentaires savamment pesés, mais également l'exclu web de leur nouveau montage: "Paris Is For Lovers", documentant les pérégrinations du team Love Skateboards au sein de la capitale française, l'été passé. Et toc!

LIVE Skateboard Media: Bonjour les gars! Alors, quid de Medium Skate Mag? A qui doit-on l'initiative de son lancement, et quelle est l'histoire derrière cette aventure?

Joel: L'idée nous est venue en automne 2015, probablement lors d'une session à Toronto ou à Detroit. Will et moi discutions de l'idée de sortir un zine pour Love Skateboards - quelque chose de basique qui tournerait principalement autour des produits Love, ainsi que du team. A l'époque, on sortait régulièrement des pubs Love dans Kingshit Magazine, mais au fil du temps il nous apparaissait de plus en plus évident qu'on devrait plutôt investir temps et argent dans un projet qui nous serait tout personnel; une suggestion principalement amenée par Will, d'ailleurs.

Et puis, bien avant qu'on ne lance quoique ce soit, la conversation a rapidement évolué, et on a commencé à plutôt discuter de l'idée de faire un zine dont la thématique tournerait également autour des marques et skateurs qui nous plaisent d'une manière générale, plutôt qu'un projet exclusivement consacré à Love Skateboards. La réflexion a fait boule de neige et finalement, on a sorti notre propre magazine underground: Medium, donc. On voyait d'autres gens, aux horizons multiples, s'essayer à la réalisation de magazines aux propos ayant principalement trait à la créativité dans le skate, et ça nous a donné envie d'inclure nos amis et nos photographes dans un projet qui nous serait propre.


Jeff Srnec, switch backside kickflip. Ph.: Will Jivcoff

Will: Medium, c'est un peu notre excuse pour nous consacrer à ce qui nous parle vraiment dans le skate. Qu'il s'agisse d'un artiste ou d'un skateur qui nous touche réellement, ou même juste d'un ami personnel dont la créativité est inspirante; notre idée est de donner une plate-forme à ces gens, et à leur travail. Au Canada, les magazines se bornent généralement aux frontières du pays, ne couvrant que ce qu'il se passe en leur sein; c'est rare de tomber sur l'équivalent local d'un Solo, Grey ou Free ici, donc Medium vient aussi se positionner là, comme pour combler ce vide.

LSM: Géographiquement, où êtes-vous tous les deux basés, exactement?

Joel: Will habite à Toroto et quant à moi, j'habite à une heure de chez lui: à Kitchener. C'est vraiment le manque local de publication papier de qualité qui nous a motivé à nous lancer dans cette aventure. Il y a quelques années, on avait Color Magazine, probablement le meilleur mag de skate jamais produit à ce jour. Ils ont disparu et, depuis, laissé un grand vide dans la représentation de la créativité dans le skate ou de son aspect artistique en général. Loin de moi la prétention de combler l'intégralité de ce manque avec Medium, mais on souhaiterait offrir une alternative à, somme toute, tout un public désireux de ce type de publications.

"Qu'un jour, éventuellement, on s'y retrouve dans nos frais au point de ne plus être dans le rouge, ça serait vraiment pas mal"

LSM: Selon vous, quelle place reste-t-il à la presse papier en 2017?

Will: En l'état actuel des choses, vu la taille du gâteau, c'est difficile de se réserver une part; ceci dit, après avoir sorti le premier numéro, Joel et moi avons réalisé que tant qu'il y aura des passionnés pour promouvoir un tel projet, alors celui-ci aura toujours une place. Evidemment, pour ce qui est des annonceurs et de la com', les beaux jours du format papier sont déjà bien lointains, mais de toute façon ni Joel ni moi n'étions en course à cette époque et surtout, la vérité, c'est qu'on va continuer à faire des magazines tant qu'il nous plaira. Le premier numéro de Medium faisait trente-deux pages, soit la moitié du numéro deux, et malgré cela il a reçu un accueil invraisemblable, dans le meilleur sens du terme possible. On pensait que personne n'en aurait rien à carrer, mais, au moment de sa sortie, il n'existait qu'un seul autre mag de skate pour tout le Canada, les gens en avaient visiblement marre et ils ont littéralement embrassé l'apparition d'une alternative.

En ce qui concerne nos buts, on veut que le magazine se développe de façon naturelle; on veut y représenter du skate et des gens qu'on aime sincèrement, et remplir nos pages de contenu de qualité. On est mordus de notre culture, et voulons absolument que ce soit ce trait qui nous guide dans notre évolution. Oh, et, qu'un jour, éventuellement, on s'y retrouve dans nos frais au point de ne plus être dans le rouge, ça serait vraiment pas mal.

LSM: Will, tu travaillais pour Kingshit avant, pas vrai?

Will: J'ai été photographe principal pour Kingshit pendant deux ans, puis rédacteur en chef, pendant deux ans aussi; mais j'étais en désaccord perpétuel avec le propriétaire, au sujet de ses intentions et de la tournure que prenait la direction du magazine, du coup juste avant Noël 2016, j'ai tout plaqué et ce, sans plan particulier sur lequel éventuellement rebondir. Je me souviens qu'à l'époque, j'en avais tant vu de toutes les couleurs qu'une chose était certaine : je ne voulais plus rien avoir à faire avec quoique ce soit en rapport avec un magazine.

J'ai acheté pour premier reflex numérique quand j'avais seize ans, j'ai commencé la photo en shootant mes potes à Kitchener dans l'Ontario - là où j'ai grandi. C'est une petite ville aux spots bien rugueux, le genre d'environnement qui te pousse à être créatif si tu as envie de skater quoique ce soit. Et on était tout un groupe - petit, certes - de jeunes motivés à l'idée de se bouger pour faire un truc. Joel et Isaac, de Love, étaient plus vieux et ont fait office de mentor pour moi à l'époque, ils m'ont vraiment aidé à sortir de Kitchener pour le skate, à en voir ne serait-ce que le potentiel! Tout ça me semble si lointain, maintenant, et c'est drôle d'y repenser, mais j'étais encore au lycée, à l'époque; je n'étais jamais monté dans un avion, et je ne pensais pas à grand chose à part à l'école et au skatepark du coin.

 Will Jivcoff
Isaac Watamaniuk, wallride à Créteil. Ph.: Will Jivcoff

Mon premier trip a été à Houston au Texas quand j'avais dix-huit ans, et de là est venue ma première parution en tant que photographe, c'était dans Concrete Magazine. A partir de là, j'ai me suis évertué à contribuer à d'autres mags de skate basés au Canada, et dire qu'à une époque il y en avait quatre! Ca me permettait de mettre suffisamment de beurre dans les épinards pour pouvoir n'avoir qu'à travailler six mois par an à côté, et le reste du temps, je pouvais voyager et shooter des photos pour les magazines: le rêve adolescent.

"Dix heures par jour dans un hangar sans fenêtre, ça m'a rendu plus ou moins dingue, mais ça m'a motivé à me bouger"

Au cours de cette période, j'ai également fait un stage chez SBC Skateboard Magazine, sous l'égide d'Andrew Norton. A l'époque, c'était lui le rédacteur en chef et il a vraiment instillé en moi l'éthique du photographe de skate déterminé à produire des photos de qualité, tout en me montrant comment réellement diriger un magazine. J'ai également appris à quel point c'était fastidieux de retranscrire des interviews audio en format texte, j'ai fait ça pendant des heures et des heures, et des heures!

Puis, vers vingt ans, je me suis retrouvé à l'emballage de vis et de boulons à Kitchener, dix heures par jour dans un hangar sans aucune fenêtre, ça m'a rendu plus ou moins dingue, mais ça m'a motivé à me bouger et du coup, à vingt-et-un ans, j'ai déménagé à Toronto, où je réside depuis.

LSM: Quelle est la relation actuelle entre Love et Medium? Pouvez-vous nous en présenter les acteurs principaux, ainsi que les team riders Love Skateboards?

Joel: La relation entre Love et Medium est toujours très étroite; nous trois (mon frère Isaac, Will et moi) sommes amis depuis plus de dix ans; Isaac et moi avons été les premiers sujets "test" de Will quand il s'est mis à la photo, et on a toujours traîné ensemble, skaté ensemble. On l'a vu s'épanouir dans son art, et lui a été témoin de la progression de Love. Du coup, le fait de travailler ensemble sur Medium s'est imposé comme un processus très naturel, fruit de moult années d'amitié proche, de respect mutuel, et de confiance sans faille. Evidemment, de ce fait, Love a une présence palpable dans Medium, mais le magazine n'est pas contrôlé par la marque. Isaac fait tourner Love, c'est son truc; Will et moi bossons sur Medium, c'est comme notre bébé. On se soutient tous mutuellement, et cela nous conduit à repousser nos limites, chacun dans son oeuvre.

Pour ce qui est d'un historique, Love a été lancé à Cambridge, en Ontario, en 2000, 2001, par Jeremy Eby. Il s'occupait du graphisme, les planches étaient faites chez Penns et il avait constitué un team de locaux légendaires avec Bryan Wherry, Ben Locke et JD Robinson. En 2008, on lui a racheté la marque et on a commencé à opérer depuis Kitchener. Depuis, c'est nous qui faisons tourner la boîte, assistés par Wyatt Franke et Trevor Halverson, avec des riders en provenance de Toronto, Detroit, Windsor et d'Alabama.

Sergej Vutuc a réalisé deux collections pour Love depuis qu'on l'a rencontré, en 2013 je crois. On l'a rencontré à Detroit alors qu'il exposait à la galerie Rosa Park Boys, qui était gérée par nos amis Jim, Francois, et notre rider Justin Bohl. Je me souviens qu'on dormait par terre, alors que Sergej préparait son expo... L'amour au premier regard!
 
 Will Jivcoff
Sergej Vutuc, Joel et Isaac Watamaniuk. Ph.: Will Jivcoff
 
Actuellement, mon frère Isaac est donc propriétaire et porte plusieurs casquettes: directeur artistique, ventes, expéditions... Nos riders sont Justin Bohl (Detroit, USA), Evan Basiley (Alabama, USA), Jeff Snrec (Windsor, Canada), Matthew Roberts, Ethan Bonn et Robert Mentov (Toronto, Canada). Greg Dezecot est notre connexion parisienne! Quant à moi, je suis principalement filmeur à la VX-1000 et Will Jivcoff s'occupe de tout ce qui est photo, donc...

LSM: Entre le trip en France et toutes ces contributions photo en provenance de partout dans le monde (Alexey LapinJonathan MehringNicolas Huynh...) figurant dans le numéro deux de Medium, on ressent vraiment une envie de s'exporter par delà votre scène locale. Comment aimeriez-vous voir le mag se développer?

Will: En effet, tu as raison: la plupart des magazines qu'on trouve semblent limités à leur région géographique, et le mag pour lequel je travaillais avant se bornait à ne publier que du contenu canadien... C'est un modèle dont je me suis lassé, personnellement.

"C'est important de soutenir les gens qui cherchent à tracer leur propre voie"

Avec Medium, on essaie d'être attentifs aux différents styles de skate pratiqués partout dans le monde, afin de mieux les rassembler en un seul paquet cadeau, sous la forme de chaque nouveau numéro, dans l'espoir de faire découvrir quelque chose de nouveau à nos lecteurs. Ce numéro deux ne fera pas figure d'exception: c'est réellement cette optique qu'on cherche à développer avec Medium d'une manière générale.

LSM: Par delà le monde, donc, puisez-vous votre motivation dans la démarche d'autres publications papier; quels sont les autres magazines qui vous inspirent?

Joel: Personnellement, j'adorais Color et 43 quand ils existaient encore, ainsi que The Skateboarder's Journal en Australie: un véritable livre de skate avec beaucoup de texte, à parution régulière allant de deux à quatre fois par an. Aussi, je suis inspiré par la démarche très D.I.Y de Sergej Vutuc, transcendant son style artistique.

Will: Oui, j'aimerais tellement que 43 existe toujours. C'était vraiment une publication de qualité, de la première à la dernière page en passant par l'encre qu'ils utilisaient. Sinon, ce qui me motive, c'est de voir des zines et des photographes (de skate ou non, d'ailleurs) planchant sur leurs propres projets, en indépendant. Je trouve que c'est super important de soutenir les gens qui cherchent à tracer leur propre voie. Aussi, ça m'amuse beaucoup de voyager vers de nouvelles contrées, quitte à opter pour des destinations bizarres pour ce qui est du skate, ne serait-ce que pour voir ce qu'on arrive à y faire. J'ai déjà été à l'initiative de trips assez exotiques, et jusqu'ici, on m'a toujours suivi; merci à ceux qui croient en moi, et pourvu que ça dure.

LSM: Mis à part Love et Medium, quels sont vos objectifs respectifs, à court ou long terme? De quelconques projets hors format, de quelconques voyages en vue?

Will: De la même manière que l'on souhaite que Medium se développe naturellement, il en va de même du reste de nos projets. C'est assez idyllique que de partir en trip quelque part, rencontrer de nouveaux skaters évoluant sur place, et finir par les intégrer au magazine.

 Will Jivcoff
Aymeric Nocus, step hop, Paris. Ph.: Will Jivcoff

En ce qui concerne nos prochains trips, pour l'instant, on est en train de planifier un voyage aux Açores - d'ailleurs, si un local portugais se retrouve à lire ces lignes et s'avère disposé à nous orienter au sujet du skate là-bas, qu'il n'hésite pas à me contacter! Ensuite, pour l'été 2018, ce sont la Russie et l'Europe de l'Est qui sont sur la liste.

"Ils étaient stupides, mais on avait l'impression qu'ils étaient cools"

Joel: On a également le montage du trip Love et Medium à Paris qui est sur le point de sortir [cf. bas de cet article, NDLR], et ça fait maintenant un bail que je peaufine une vidéo complète pour Love, je n'en vois pas vraiment le bout; on vient encore de passer tout l'été dessus, et je pense qu'il faudra bien un été supplémentaire encore avant de pouvoir la sortir. Je déteste sortir quoique ce soit "en speed" ou à l'arrache, donc on va continuer de prendre le temps...

LSM: En parlant de faire les choses dans l'ordre et en guise d'outro, j'ai oublié de vous poser ma question d'intro classique: comment, où et quand avez-vous respectivement commencé le skate?

Will: C'était à Kitchener, j'avais dix ans, et un gamin du lotissement voisin s'est pointé pour jouer; il avait un skate Star Wars holographique et ne faisait que chanter les louanges des soldes du moment, qui faisaient qu'on en trouvait pour vingt dollars à Walmart. Bien évidemment, dès que je suis rentré à la maison, j'ai pleurniché devant ma mère pour en avoir un; elle m'en a ramené un dès le lendemain soir, en rentrant du boulot, et m'a, de ce fait, condamné.

Joel: Moi, mon premier souvenir de skate à trait à ces deux imbéciles de gosses qui traînaient dans mon quartier, toujours à Kitchener dans l'Ontario. Mike et Steve. Ils étaient plus vieux qu'Isaac et moi, de quelques années, et c'était vraiment le cliché des abrutis qui avaient un tremplin à mettre dans la rue et, accessoirement, la police qui frappait régulièrement à leur porte. Ils étaient stupides, mais on avait l'impression qu'ils étaient cools, donc on empruntait régulièrement leurs skateboards. Une fois qu'on a eu douze ans, Isaac et moi, on a acheté nos propres boards au shop du coin, et le reste fait partie de l'histoire - c'était il y a dix-neuf ans, et je suis toujours autant à fond!

 Will Jivcoff
Matt Roberts, frontside heelflip. Ph.: Will Jivcoff

Live Skateboard MediaLive Skateboard Media

Patientez pour passer l'annonce...
Fermer