Rob Mentov "Travel Mixtape" / PREMIERE
LIVE Skateboard Media : Certains de nos lecteurs se souviennent sûrement de ton travail avec Street Feet et d'autres encore te connaissent peut-être de par ton activité actuelle, mais pour les autres, saurais-tu nous raconter qui tu es et d'où tu viens ?
Rob Mentov : Je m'appelle Rob Mentov et je suis réalisateur basé à Toronto au Canada.
J'ai commencé à faire des vidéos de skate sous l'insigne de Street Feet, qui me permettait d'impliquer mes potes dans des projets qu'on estimait intéressants. Le projet n'est pas spécialement mort, je l'entretiens toujours mais c'est vrai que j'ai aussi approfondi d'autres domaines entretemps et dorénavant, je passe le plus clair de mon temps à réaliser des documentaires sans rapport avec le skate, ainsi que des projets plus narratifs filmés au Moyen Orient, en Asie du Sud-Est, en Afrique et d'autres endroits encore.
Par contre, le skate continue d'influencer mon approche et ce, pour chaque nouveau projet.
LSM : Quand as-tu commencé à filmer du skate ou à prendre des photos ? Dirais-tu que c'est cette première expérience qui t'a encouragé dans la démarche de quitter ta zone de confort pour t'intéresser à la documentation de ton environnement ?
Rob : Et bien il y a douze ans maintenant, avec quelques potes on s'était motivés à acheter une VX-1000, après quelques premières années passées sur un skate. A Scarborough - là d'où je viens - c'était difficile de trouver un filmeur et quand bien même on filmait quelque chose, s'organiser pour récupérer le clip pour en faire quoique ce soit s'avérait plus difficile encore. Je pense que cette expérience a été pour moi une bonne leçon, selon laquelle il ne faut pas trop compter sur autrui lorsqu'on cherche à créer quelque chose.
"Maintenant, plutôt que de chercher des bank to ledges [...] je recherche plutôt des morceaux d'histoire"
Le skate a toujours inspiré mon travail, de par sa mentalité de base consistant à créer à partir de presque rien, mais également car il m'aide à franchir des barrières culturelles lorsque je me retrouve à documenter des inconnus dans des endroits obscurs et que je cherche à communiquer avec eux pour comprendre leur perspective. La plupart du temps, le photographe est souvent vu comme l'"outsider" qui s'introduit dans l'intimité ; surtout dans les situations où le travail laisse peu de temps au développement d'une vraie relation avec un sujet.
Le skate fournit alors un sujet de discussion, lorsque les gens sont intrigués ou trouvent le concept intéressant ; ça permet de s'engager dans un dialogue mutuel et une logique d'échange culturel, plutôt que de rester borné chacun de son côté à juste appuyer sur un déclencheur ou se faire tirer le portrait, pour ensuite ne plus jamais se revoir.
Le skateboard m'a servi maintes et maintes fois dans de telles situations où je m'adonnais à un travail documentaire, ou même à la photographie de rue ; du coup, j'emmène toujours ma planche avec moi, sur chaque trip.
Le skate a généré en moi ce besoin de recherche, cette envie d'apprendre d'autres cultures et d'endroits peu familiers, sauf que maintenant, plutôt que de chercher des bank to ledges en marbre vierge, je recherche plutôt des morceaux d'histoire, des fragments de changement que j'espère mettre en évidence par le biais de mon oeuvre de réalisateur et de photographe.
Enfin, je cherche quand même toujours des spots ! Je suis justement en train de planifier une liste de prochains trips skate, par exemple dans les campagnes du Népal ou du Rwanda.
Moment capturé par Rob Mentov.
LSM : Où est-ce que toute cette démarche t'a emmené, jusqu'ici ? Quelles sont les destinations qui t'ont le plus marqué, et le skate est-il toujours une motivation personnelle pour toi ou ne remplit-il plus qu'une fonction sociale au cours de tes voyages ?
Rob : Je ne suis pas parti en "vrai" trip skate depuis le trip Love à Paris l'an dernier, et même celui-là, c'était une coïncidence entre deux voyages au Népal, où cela fait désormais un an et demi que je filme régulièrement pour un projet. Ces dernières années je suis allé au Liban, en Jordanie, au Cambodge, en Birmanie, en Indonésie, en Inde et au Népal, entre autres.
En termes d'intérêt, je retiens surtout la Birmanie, il y a un truc là-bas avec les gens, et l'architecture. L'approche de la vie est intriguante, entre le train colonial qui traverse la campagne en faisait du vingt kilomètres à l'heure pendant vingt heures, et la bière nationale "Myanmar" dont le logo reprend les couleurs du drapeau du pays.
"Le skateshop local est un mec qui s'appelle Puis et qui conduit un camion de matos sur les spots ou chez les gens"
C'est quelque part entre la Birmanie et le Cambodge que j'ai développé un goût pour la photo, outre la vidéo. Et puis, pour le skate, ils ont une chouette scène là-bas ; le pays en général a beaucoup changé ces derniers temps, mais ils persistent à avoir du mal à importer des produits. Le skateshop local est un mec qui s'appelle Puis et qui conduit un camion de matos sur les spots ou chez les gens. Il y a aussi Ali Drummond qui bosse dur pour faire avancer leur scène.
Quant au skate pour le skate, entre la trouvaille de spots et le filming de tricks, j'essaie toujours ! Mais en général ce sont les projets hors skate qui m'amènent sur les endroits où de temps en temps, je filme un clip.
Ceci dit, s'il y a un skatepark dans le bled où je me trouve, alors j'y passe mon temps libre. Peu importe l'endroit dans lequel tu te trouves, la communité skate est toujours la meilleure ressource. Instantanément, les barrières tombent et les amitiés se forment, rapidement. Les skateurs ont en général un sens aigü de ce qui se trame dans leur ville, et sont mieux renseignés que la moyenne. Ils connaissent toutes les solutions et du coup, sur mes trips, ils se révèlent souvent être des alliés précieux, question soutien.
LSM : Pourquoi dirais-tu que tu as développé ce goût pour les endroits plus exotiques que ceux propices à attirer le skateur de base ? Tu es motivé par quelque chose d'un peu plus pointu que le tourisme skate organisé et la collection des curbs les plus parfaits du monde, n'est-ce pas ?
Rob : Skate ou pas, je suis davantage intéressé par les endroits plus reculés, moins fréquentés. Je pense que ça a à voir avec la possibilité de rencontres sincères, sans ressentir un rapport trop lourd lié à la présence d'une industrie touristique.
Après, le skate constitue justement une opportunité d'accéder à une expérience plus authentique et moins superficielle dès qu'il s'agit d'intéragir avec les gens en voyage. Je trouve que les skateurs sont des privilégiés, de par cette lecture unique qu'ils ont des endroits, des lieux du monde entier, qui sera moins évidente d'accès pour d'autres voyageurs.
"On endure suffisamment d'énergies négatives au quotidien comme ça pour avoir besoin d'en rajouter une couche avec le skate"
Je tombe clairement dans le schéma du skateur type qui ira chercher un trick basique sur un spot intéressant, plutôt que le trick le plus difficile possible sur un spot parfait. Je cultive l'idée de spontanéité dans le skate et dans le filming ; j'adore filmer des lines où le skateur s'accorde à son environnement, changeant son approche avec chaque essai. J'ai le souci du détail du passant qui bloque le spot, ou de la voiture, du vélo qui défile dans le fond. Je suis obsédé par l'interaction entre le skateur et le reste du monde en général. C'est chouette de voir cette facette-là remise au goût du jour tel qu'elle a pu l'être ces dernières années, plutôt que l'aspect "j'assemble un curb en bois dans mon garage avec un générateur et je passe des heures à essayer la même manoeuvre ardue".
J'apprécie aussi ce type de skate, mais moi je ne m'y retrouve pas, je trouve ça trop stressant. Au final, on endure suffisamment d'anxiété et d'énergies négatives au quotidien comme ça pour avoir besoin d'en rajouter une couche avec le skate, je préfère en profiter concrètement pour ce qu'il me fait ressentir, plutôt que penser pirouettes.

La guest board de Rob chez Love Skateboards, dans la nouvelle collec'.
LSM : Pourquoi cette photo, pour ton graphique de board ? Quelle est son histoire, quel est son sens pour toi ?
Rob : Joel et Isaac, de Love, m'ont demandé (ainsi qu'à Jeff Srnec) de leur envoyer un scan d'une photo de mon choix, pour une série "guest" qu'ils comptaient lancer ce printemps.
Ce cliché-là, saisi au vol en pleine campagne du Pérou, et représentant un enseignant d'Anglais local au regard perdu dans le paysage, m'a toujours plu. Je l'ai pris il y a quelques années, avec un petit Olympus, au cours de l'un des premiers trips hors skate que j'ai fait et qui m'a donné le goût à la documentation de gens, de cultures. Et ce, à la sauvette, alors qu'en général il me faut au moins vingt photos du même sujet avant d'en sortir une que j'aime.
Du coup, on a pensé synchroniser la sortie de cette board avec ce clip, filmé dans plein de pays différents au fil des ans. Il y a toujours eu cette démarche d'effort collaboratif chez Love, et je suis content qu'ils me considèrent comme faisant partie de la famille.