Chasing Bobby
Photo: Tia Romano
Interview: Benjamin Deberdt
"Et là, d’un coup, tu dois servir une salade chou frisé - quinoa à un connard dans l’East Village."
Le 16 mai 2013, une part de Bobby Puleo est apparue en ligne…
Sans tambour ni trompette, et encore moins de pré-campagne marketing, plus de deux minutes de footage de l’un des skateurs les plus secrets –le tout monté sur du Large Professor– ont commencé à circuler à travers le monde, sur la toile, d’abord entre initiés, puis comme nouvelle pierre angulaire du grand cyber-débat sur ce qui va “mal” dans le skate et qui pourrait le “sauver”. Parce que Bobby est de ces personnages qui attirent autant la haine que l’amour, puisque les gens adorent le détester et / ou déteste avouer en être fan. Et souvent les deux à la fois. Et, pour moi, cela reste une qualité, même si cela ne doit pas forcément être facile à vivre tous les jours, pour lui.
Puisque cette part posait plus de questions encore, et n’apportait aucune réponse à celles déjà en suspens, il était temps de le localiser pour voir ce qu’il pouvait avoir à dire de tout ça. Sans surprise, son retour est loin de tout ce que l’on pouvait attendre.
“You must learn.”
Je crois savoir que cette part était destinée à ton projet Greatest Misses, ou je me trompe?
Non, tu ne te trompes pas. Cette part est bien destinée à Greatest Misses, qui est toujours d’actualité. Avec pas mal d’images inédites. Ce sera disponible bientôt.
Donc, tu comptes toujours sortir Greatest Misses?
Ouais, le truc est plus ou moins fini. Ça devrait être disponible bientôt, probablement sur une nouvelle version de mon site, Victim, ou un truc dans le genre.
Qu’est-ce qui t’a fait la mettre en ligne comme ça, sans prévenir personne?
Je ne suis pas vraiment sûr. Un poil d’impulsion, un peu de calcul, un peu de préméditation, et un doigt d’espièglerie. J’en ai eu marre de m’attendre moi-même. La part était finie depuis un moment, donc j’ai décidé de la montrer. Tout finit sur le net de nos jours, tôt ou tard, de toute façon. Je me suis dit que le plus tôt serait le mieux.
Je crois que tu n’as même pas prévenu les filmeurs impliqués dans le projet?
Ouais, pour leur dire quoi ? Je plaisante… Comme je disais, ça a un peu été une impulsion. Le filmeur principal est Joe Bressler. Josh Stewart a filmé quelques tricks. Et Joe a réfilmé quelques trucs que Stewart avait perdus ou foirés. Un Espagnol, aussi, a deux tricks.
Pushed, le documentaire, vient de sortir en DVD, et je me demandais si tu l’avais vu? Je sais que Florian, le réalisateur, se le demande, ça c’est sûr!
Nan, je ne l’ai toujours pas regardé. J’ai une copie, mais je l’ai pas regardée. J’ai un peu peur. Peur de voir quel genre d’idiot je suis là-dedans. Je n’ai pas envie de ruiner l’expérience en le regardant.
Il me semble que la semaine où ils sont venu te filmer à New York est celle où le skateboard a arrêté de payer tes factures? Après avoir été pro pendant si longtemps, à quel point cela a été difficile de s’ajuster à cette nouvelle réalité?
C’était la folie. C’est en partie pourquoi je ne veux pas le regarder… C’est vrai, jusqu’à ce moment-là, je n’avais plus qu’I-Path qui me payait, comme sponsor. En fait, après la vente d’I-Path à Timberland, les businessmen de Timberland m’ont dit : “Signe ce contrat où tu nous donnes toutes tes images, sans augmentation, sans modèle de chaussure, sans rien en échange…”. Moi, je ne pouvais que dire “Non, merci !” Quand j’ai vu tous les changements chez I-Path, que les gars qui avaient fait la marque se faisaient jeter du team, pour prendre des mecs qui n’avaient pas du tout l’étoffe I-Path, j’ai juste dit “Non, merci !” Beaucoup de gens croient que je me suis fait virer. J’ai juste refusé de signer leur nouveau contrat. Ça a été une période, et une décision, difficiles. Et au moment où les gars [de Pushed, NDLR] sont arrivés, j’ai été forcé de prendre un travail régulier. Ça a été une transition et un retour à la réalité plutôt brutaux. C’était prendre un boulot, ou ne pas pouvoir payer mon loyer. Et ces gars étaient justement là pour filmer tout ça! Youpi!
Maintenant que tu bosses à plein temps, quels horaires tu as pour skater?
En fait, ce n’était pas un plein temps, mais quatre jours par semaine. Donc quatre jours sans planches, et trois dessus. Je suis maintenant organisé pour pouvoir passer beaucoup plus de temps sur ma board. Mais ça c’est fait au prix de gros changement dans mon mode de vie, et mon attitude. J’essaie encore de comprendre tout ça. Dans un sens, ça m’a donné une nouvelle perspective. Ça m’a rendu un peu plus concentré sur ce que je fais. Parce que, d’un coup, mon temps est désormais compté, ce qui est quelque chose que j’ai toujours détesté. Je n’aime pas devoir être à un certain endroit à une heure donnée, et j’aime encore moins me dire que mon temps sur terre ne m’appartient pas.
Quand tu parles de nouvelle perspective, quelle est la chose la plus importante que tu as apprises depuis que tu ne gagnes plus ta vie par le skate?
Que le travail, c’est horrible.
Ça t’importe encore, tout ça, la façon dont les gens perçoivent ton skate?
Absolument. Ça reste l’une des choses plus importantes pour moi. Ça l’a toujours été. Je ne veux pas rentrer dans les ramifications psychologisantes et les effets du skate sur ton ego, ou dans le “Pourquoi nous skatons ?”, mais absolument, ça me tient toujours à cœur. C’est ma pratique et ma profession. Je ne skaterais plus si ce n’était pas important pour moi. Cette part est la preuve que ça m’importe encore.
Je me demandais si tu serais encore intéressé par le sponsoring, ou si c’était quelque chose que tu avais définitivement mis derrière toi?
Nan, j’adorerais que quelqu’un me paie pour rider ma board, à nouveau. Ce n’est pas comme si j’avais jamais voulu autre chose. Mais, à ce point, le plupart des sponsors avec lesquels j’ai pu être depuis dix ans sont largués. Putain, même Enjoi! Je me suis fait virer de cette marque pour “ne pas avoir filmé de part”, alors que tout ce temps-là, je leur demandais d’aider les gens à New York qui seraient capables de me filmer, ce qui à l’époque était quasiment personne. Les gens ne se rendent pas compte d’à quel point c’est difficile de faire des choses, ici. Les gars n’ont pas compris que New York, ce n’est pas San Jose. Les distractions sont infinies, ici. Le gars qui a filmé la majorité de ma part pour la Static 2, Alex Mucilli, devait payer son loyer, donc trouver un travail. Et qu’est-ce qui se passe lorsque tu dois prendre un travail ? Tu ne skates pas et/ou tu ne filmes pas. C’est aussi simple que ça. Donc, je leur ai demandé : “Donnez une alternative à mon filmeur, pour qu’il ne prenne pas de boulot à plein temps, et je serais à fond de vous filmer une part !” Tu sais ce qu’ils m’ont répondu ? “Viens à S.J. et filme une part ici.” Tu imagines ? Pourquoi j’irais filmer une part à San Jose alors que les trucs que je skate sont à New York et dans le New Jersey? Mais, c’est la mentalité ces temps-ci. Plus d’attention aux détails. C’est juste “skate ce truc que le dernier gars a skaté, fais mieux que lui, et on le met sur le net”. Mais je digresse… Oui, j’aimerais avoir des sponsors qui me paient. Ce serait le rêve. Désolé pour ma tirade… Et, ouais, je n’ai pas de ressentiment vis-à-vis d’Enjoi. Je suis sûr que les gens vont interpréter ça comme “Ouais, il déteste Enjoi, ce gars est vraiment connard!”, ou un truc dans le genre.
Et qu’est-ce qu’il se passe avec Traffic, alors?
Traffic, ça continue! Plein de gens me demandent ce qui se passe avec Traffic, dernièrement. Je viens juste de parler avec Rick [Oyola, NDLR] et il m’a parlé d’un nouveau deal de distribution sur lequel il travaillait, et il avait l’air super positif à ce sujet.
Quelle est la dernière chose que tu aies vue/lue/entendue qui t’a motivé pour le skate?
J’aime beaucoup les Love Letters to Skateboarding. J’ai toujours bien aimé Jeff Grosso. Je trouve qu’il est chan-mé. J’aime la rampe. Je trouve que c’est tellement chaud. Et c’est la base de ce que nous faisons, nous, dans la rue. J’apprécie que Grosso fasse cette série. Voyons… J’aime bien l’épisode sur les footplants, et celui sur Sadlands. Récemment, j’ai regardé la part de Todd Congeliere dans la Liberty, celle de Buster Halterman dans Now'n’Later, celles de Chris Miller, et celles de Ben Shroeder. J’aime beaucoup Steve Douglas et Bod Boyle et j’ai récemment revues leurs parts. J’aime bien un bon lip trick en rampe. Ah ouais, cet épisode sur Tom Groholski m’a donné la patate. J’ai revues quelque super bonnes parts d’Andy Roy, récemment. Alan Petersen. Salman Agah dans The Real Video. Tellement de choses, récemment. Je suis beaucoup dans l’histoire et la progression du skate, surtout les tricks de rampe, en ce moment. Mais, sinon, et je le répète toujours, mes trois grandes inspirations resteront Gonz dans Video Days, Julien dans Skypager, et Guy dans la Mouse.
Qu’est-ce qui fait que la rampe t’intéresse autant?
Ça me parle parce que nous, le streeteurs, avons basé tout ce que nous faisons sur ce qui se faisait en rampe. Un ledge, c’est un coping de vert’. Et avant c’était un coping de piscine. Ajoute un Rodney [Mullen, NDLR], et, boom, tu as le street. Gonz et Natas [Kaupas, NDLR] étaient des chefs étoilés!
Tu as déjà fait de la rampe?
Oui. Ça fait peur, et ce n’est pas marrant du tout!
Tu en es où, des Collections? Tu les continues, ou tu es passé à d’autres activités artistiques?
Les deux. Je travaille toujours dessus, et sur d’autres terrains, aussi.
C’est un effort conscient d’essayer de percer dans l’art –si je peux l’exprimer comme ça–, ou plus un défoulement, et une conséquence du fait de passer tant de temps dans la rue ?
Les deux. J’adorerais échanger mon art contre de l’argent papier ou électrique. Quelque puissent être les devises utilisées aujourd’hui, j’adorerais être payé pour faire des choses…
Plus tôt, on discutait des changements radicaux dans ton mode de vie, mais tu n’a jamais été le genre de pro flashy qui jette son argent par les fenêtres, donc tu parlais de quoi, exactement?
Ben, tu vois, simplement devoir être à un endroit précis, pour y passer mon temps à faire quelque chose, alors que si j’avais le choix, je serais en train de faire autre chose. C’est-à-dire avoir un travail. C’est drastique comme changement, quand depuis dix ou quinze ans tu as pu vivre sans avoir à prendre un boulot pourri. Et là, d’un coup, tu dois servir une salade chou frisé - quinoa à un connard dans l’East Village. Mais, comme je le disais, quand tu dois le faire, tu fais bien attention à ce que tu fais de ton temps, lorsque tu n’es plus au travail.
En complément d’information, lisez absolument l’excellente interview de Bobby pour CBI, avant de vous refaire une dose de la part discutée ici: