Eleventh Hour / Jacob Harris

Interview: Charles Paratte

Photos: Finn Andres

"Les piédestaux sont bas, et rien ne peut rester au firmament très longtemps, sans se faire démonter."

Tom Knox, me, Dan Magee filming on 16mm and Luka Pinto powersliding

L’histoire du skate anglais aura inspiré du monde bien plus loin que les côtes de l'île, notamment grâce aux différentes productions vidéos locales qui sont devenues des références. C'est avec ces images que Jacob Harris a grandi, avant d'entreprendre la réalisation de sa “full length”. Au final, XIth Hour est l'une des meilleures vidéos européennes, cette année, et perpétue avec brio la tradition d'un certain skate britannique. Il nous a semblé intéressant d’en apprendre un peu plus sur le personnage, surtout lorsque nous avons entendu qu'il ne possédait même pas de caméra…

Magnus Kreiber, le skateur de Copenhague, a filmé avec toi, à Londres, et me disait qu'il avait essayé une ligne pendant des heures, au milieu de la nuit, et que tu n'avais jamais laissé tomber, ou ne t'étais plaint une fois. Tu dirais que c'est un bon exemple du genre d'efforts que nécessite une vidéo d'une telle qualité?
Je dirais qu'il est plutôt difficile d'obtenir des images que tu estimeras de valeur, si tu n'es pas patient. Ça aide aussi si la personne que tu filme est consciente que tu sais être patient, aussi. Ça les mets à l'aise, et les aide à se relaxer et faire ce qu'ils font aussi bien que possible, et peut-être même à jouer un peu avec, suivant qui ils sont.

La majorité de la vidéo a été tournée dans ton environnement, et certains des skateurs sont de bons amis à toi. Tu n'as jamais eu peur que ça se transforme en “vidéo de potes”, que juste les potes pourraient apprécier?
C'est vraiment une question que je me suis posée. J'ai toujours essayé de maintenir un niveau de qualité élevé, pour le skate pratiqué, en tout cas, et j'ai de la chance, mes potes sont des tueurs! Sinon, le style de montage auquel j'aspirais ne colle pas à une “vidéo de potes”, je dirais qu'il est un peu trop impersonnel.

Dan Magee t'as aidé sur plusieurs aspects. Tu peux expliquer à la jeune génération qui il est, et quel impact il a pu avoir sur toi, en tant que filmeur du Royaume-Uni?
Il a été le directeur artistique de Blueprint depuis le début, et était le responsable de toute l'esthétique, d'une grande partie du filming, et de tout le montage des vidéos. Pour moi, et la génération d'avant, le street britannique était représenté à travers son objectif. Blueprint était le géant du skateboard britannique et leurs vidéos en remontrait à tout ce qui sortait d'autre à l'époque. Ce que l'on voyait dans ses vidéos, et leur look général, c'était ça, le skate britannique, et ça l'est encore, jusqu'à un certain point. Il a aussi influencé les goûts musicaux de toute une génération de skateurs, et les effets sont encore là aujourd'hui.

Comment tu définirais cette British Touch, pour les vidéos?
Je suis un peu sec, là-dessus, c'est une qualité que j'essaie de capturer depuis longtemps, depuis j'ai vu Lost & Found, quand j'étais beaucoup plus jeune, et je ne suis pas convaincu d'avoir pleinement réussi. Une chose, pourtant, et ça sonne comme un cliché, mais le skate au Royaume-Uni ne te permet pas d'avoir un push mesuré, parfait, d'avoir tes tricks en ledge totalement maitrisés, ou d'avoir des tricks en flat “calmes”. Tout ça imprègne tellement le skate britannique que cela doit aussi contribuer à l'esthétique des vidéos.

Sinon, je dirais qu'un fil conducteur pourrait aussi un style simplement visuel, avec un ton un peu solennel qui ne se prend pas trop au sérieux et laisse une place à l'humour. Utiliser une musique principalement britannique aussi, compte pour beaucoup.
Bien-sûr, tout ça n'est qu'une partie des vidéos britanniques, il existe tout un spectre, comme partout ailleurs.

Kevin Lowry and Tom Knox stretching

Kevin Lowry et Tom Knox

On voit pleins de spots différents dans XIth Hour, certains sont visiblement sketchy et durs à skater, mais ce sont ceux qui rendent la vidéo agréable à regarder. Tu as poussé les skateurs dans cette direction, pour éviter une “vidéo Southbank”, ou alors ça s'est fait naturellement?
Et bien, j'ai de la chance, tous les gens que je filme, je suis ou bien très amis avec eux, ou j'ai déjà une idée assez fine de ce qu'ils aiment skater, donc ils me proposaient rarement des choses qui ne convenaient pas à ce que je recherche. Bien sûr, parfois, j'ai donné un petit coup de pouce dans une certaine direction. Lorsque la vidéo a commencé à avancer, je montrais à tous ceux d'impliqué où l'on allait. Je dirais qu'on avait une sorte d'accord tacite dès le départ, en fait.

Ce genre de projet, c'est presque un boulot à plein temps, mais je doute que tu en vives. Tu fais quoi en dehors de filmer du skate?
Bein, j'ai fait quelques boulots pourris pendant le tournage, mais ça n'a jamais duré longtemps. Des jobs de call center, et de musée. J'ai des boulots de filming, aussi, de temps en temps, qui me gardent à flots, et j'ai emprunté pas mal d'argent, entre Kevin Lowry, Tom Knox, et mes collocs… Je n'ai pas de gouts de luxe, donc mes principales dépenses sont mon loyer et les voyages.
J'ai commencé à filmer au moment où j'ai passé mon diplôme de littérature. Et depuis, je vis la période la plus dense en skate de ma vie. Durant mon temps libre, je lis autant que je peux, et j'essaie aussi de voir du monde, quand je peux.

La vidéo mentionne “tourné avec la technologie la plus rétrograde possible”, et tu n'as pas l'air passionné de modernité. Qu'est-ce que tu as utilisé pour XIth Hour, au final? Des galères de matos? J'ai même entendu que tu n'avais pas de caméra, en fait!
J'ai utilisé le combo classique Sony VX 1000 / fish-eye MK1. Une caméra a rendue l'âme, et j'ai constamment eu des soucis avec les autres. Sinon, j'ai monté 90% de la vidéo sur un vieux MacBook G4, qui appartenait autrefois à Magee. Et, oui, c'est vrai, je ne possède pas ma propre caméra. J'ai utilisée celle de Neil Smith à un moment, une autre qui est à mon colocataire Tbone, et j'ai terminé le filming avec celles que Tom Knox a achetée. J'ai utilisé l'un des fish-eye de Morph [le filmeur Palace, NDLR] , celui de Lowry à un moment, et celui de mon colloc' pour le reste. C'était un peu la blague, et j'avais l'impression d'être un assisté tout ce temps. Jensen m'a même donné un ordi portable, vers la fin… Je suis super reconnaissant de toute l'aide que j'ai reçu!

Luka Pinto était plutôt inconnu par ici, skate super vite et avec une approche et un style unique… Tu espère que la vidéo le mette un peu sous les feux de la rampe?
J'adorerais que cela puisse être positif pour Luka. Je ne le connaissais pas avant de commencer à le filmer. IL a déménagé à Londres, depuis l'ile de Jersey. Knox et moi avions vu une vieille part à lui, et l'on voulait vraiment le motiver, mais aucun de nous ne le connaissait. C'est une situation bizarre, de vouloir approcher un étranger complet pour ce genre de choses. J'ai fini par le croiser par hasard, et quand je l'ai vu skater en vrai, je me suis décidé à lui en parler. IL était chaud, et filmer avec lui est tellement facile: tu pointes une direction, et puis tu le suis. C'est vraiment l'un des meilleurs skateurs que j'ai rencontré, et j'espère –même si je ne sais que ce n'est jamais complètement le cas– que ça se retranscrit à l'écran, et j'espère que ça l'aidera à aller plus loin.

Luka Pinto, Tom Knox, Kevin Lowry, Chris Jones, Will Harmon, Alex Campbell, Arthur Derrien in Lyon

Luka Pinto, Tom Knox, Kevin Lowry, Chris Jones, Will Harmon, Alex Campbell et Arthur Derrien à Lyon

À quel point la musique importe, pour toi, quand il s'agit de monter du skate?
Pour moi, au final, c'est au moins 50% du produit final. La musique est ce qui donne sa base culturelle à une vidéo. Ça me stresse toujours de devoir choisir un morceau, parce que c'est si important. Si tu ne fais pas attention, tes décisions vont positionner la vidéo dans une certaine niche, peut la rendre trop personnelle et donc aliéner pas mal de gens, ou juste ruiner le tout. Je demande toujours l'avis des autres, et parle des idées que j'ai, sinon c'est trop facile de perdre toute perpective et de faire quelque chose qui t'es trop particulier.

Tu as terminée la vidéo depuis quelques temps, déjà. Tu es soulagé? Est-ce que tu as déjà retrouvé la motivation pour le projet suivant?
Définitivement soulagé. C'est agréable de ne pas avoir tout ton temps organisé en fonction des emplois du temps des autres, d'être un peu plus libre de faire ce dont tu as envie. Mais, ça me manque, aussi. Ça m'a pris un moment pour retrouver un rythme, après mettre un peu apitoyé sur mon sort. Je travaille sur deux trois choses, là, mais rien de la même échelle.

La scène britannique a toujours été florissante, au moins dans le sens où elle proposait des marques qui supportaient et exportaient sa propre culture. Et, de l'extérieur, il semble que ce soit une grande époque pour le skate londonien, en ce moment, entre Palace, Landscape, Isle, etc… Comment tu le vois, de ta propre expérience?
IL me semble que Londres a toujours produit de bonnes choses. Gamin, j'étais complètement immergé dedans, donc je ne faisais pas trop attention à ce qui se passait en dehors du Royaume-Uni, donc c'est difficile pour moi de juger. Maintenant, je suis plus conscient de tout ça, et il me semble que nous vivons une époque très excitante pour le skate britannique, et européen, d'ailleurs. Que Palace secoue un peu le cocotier alors que Blueprint était en train de mourir a été une très bonne nouvelle, et maintenant l'arrivée de Isle fait qu'ils ne sont plus tout seuls à se tirer la bourre, pour essayer de définir la scène britannique à l'international. Je ne veux pas sombrer dans les cliché, mais je dirais qu'un certain cynisme très british, ce côté second degré et toujours critique aide beaucoup à toujours apporter de nouvelles idées. Les piédestaux sont bas, et rien ne peut rester au firmament très longtemps, sans se faire démonter.

Tu as pas mal d'expérience, pour un gars de ton age. Des coups de fils intéressants depuis que la vidéo est sortie?
J'ai toujours filmé pour différentes marques, donc, non, rien de marquant… Et, je ne veux pas te décevoir, mais j'ai déjà 22 ans.

En un mot comme en cent, vous vous devez de compter XIth Hour dans votre collection.
Et si vous n'êtes pas convaincu, la part finale, celle de Tom Knox, vient juste de paraître en ligne:

Live Skateboard MediaLive Skateboard Media

Patientez pour passer l'annonce...
Fermer