Focus / Olivier "Tavu" Ente
Interview et portrait : Benjamin Deberdt
Olivier aura été l’une des premières personnes à entendre parler du projet Live, et à recevoir l’ordre de filmer pour…
Déjà parce qu’il n’est vraiment pas du genre à trop parler, et surtout parce qu’il fait partie de ces skateurs originaux parce qu’ils font, tout simplement, leur truc à eux. Loin de toutes modes, Olivier a toujours mélangé technique et tout-terrain, sans doute influencé par ses origines nordiques : briques rouges et pavés pour les rues de Lille, et skateboards belges et courbes pour survivre aux hivers… Il a donc toujours développé un style bien à lui, et continue, sur sa board, bien sûr, en skatant sa ville comme personne d’autre ; et en explorant sa passion pour le dessin et le graphisme.
Bref, alors que Live existait à peine, Olivier nous livrait déjà une part unique de par sa forme et son fond, aussi. Pour d’obscures raisons peu intéressantes, cette part ne sort qu’aujourd’hui, (pour son anniversaire!). Foncez en bas de page la voir, ou lisez-en un peu plus sur le personnage, vous en comprendrez un peu plus !
Commençons par le commencement: comment découvre-t-on le skateboard quand on est Ch’ti au début des années 90 ?
Mon frère en faisait déjà un peu, avec un pote, dans le quartier où l’on était à Armentières. Mais je n’y avais pas trop fait attention. Quelque mois plus tard, dans le parc juste derrière chez nous, la ville a coulé une dalle de bitume du genre 35m2 pour mettre quelques modules : une micro à spine, une barre, un spine… Le coup classique.
Un jour, en rentrant de cours, la mini avait été livrée, et tous les mecs qui skataient déjà depuis quelque temps étaient venus voir ça. En deux minutes, ils ont mis les morceaux ensemble, trouvé des bouts de bois pour caler tout ça et, boum, ils étaient une dizaine à skater la mini, avec tous les kids du quartier qui hallucinaient. Après ça, tous les mercredis après-midi et le week-end, c’était comme ça! Ça doit être ça la première fois, en 91, 92, je pense.
Décris-nous la scène Lilloise à l’époque, en tout cas avec tes yeux ?
En fait, c’était assez rare que l’on aille skater à Lille. Quand on y allait, c’était la D.D.E. le spot obligé. Le samedi après-midi, tu étais sûr de voir tout le monde là-bas, c’était le vrai coeur de la scène, sinon on allait beaucoup en Belgique , au skatepark de Leffinge, les jours de pluie et sur plein de petits spots sur la côte. Plus tard, il y a eu Lille 3 « Pont de Bois » pour remplacer la DDE, une grande place avec des curbs en marbre tout autour.
Explique ce qu’était la DDE.
C’était LE spot de l’époque, toute une place en briquettes, avec des bandes plus lisses pour faire du flat, un petit manual pad et des marches de une à douze, je crois, pour les mecs en forme. L’endroit idéal à l'époque pour rassembler tout le monde… Depuis, les marches sont entourées de grilles, parce qu’apparemment le bâtiment est un peu fissuré. Question de sécurité !
À quel point penses-tu que la première exposition au skateboard façonne un skateur ?
Certainement, tu es influencé par les premières vidéos que tu vois, tu veux appartenir à ce groupe, via les vêtements et tous les codes. Mais je pense que ce sont les gens que tu rencontres, les amis que tu te fais et avec qui tu vas partager ça quelque temps qui ouvrent le chemin que tu vas suivre.
Tu vis dans une ville qui compte un streetpark conséquent depuis un bon moment, maintenant. À terme, quel impact tu le vois avoir ?
Il a été construit en même temps que le skatepark, en 2004, et c’est justement l’erreur fatale : il est juste à côté du skatepark indoor et à l’autre bout de la ville ! Si je ne dis pas de bêtise, sur le papier, le streetpark aurait dû être considéré comme une place publique, mais malheureusement il n’est rien de tout ça. C’est un endroit pour s’entraîner en skateboard, il n’y a pas de réelle rencontre avec le quartier ou la population de la ville. S’il avait été construit dans un endroit plus intégré à la ville, il aurait été plus vivant. Le fait d’aller chercher des spots en ville est une part importante du skate, et le streetpark casse un peu ça. C’est la facilité : des curbs parfaits plutôt que le sol en briquettes.
Un pas d'élan et ollie. photo: Perig Morisse
D'ailleurs, je crois savoir que certains spots dans ta part sont en centre-ville, mais n’avaient jamais été skaté ?
Quelques-uns, oui… Pour la Crooklille, j’avais essayé à fond de rester le plus possible en ville. Les spots que tu vas skater en ridant, où tu n’as pas besoin de caisse… C’est une partie du truc de trouver les spots que tu veux skater, et non pas aller où tout le monde a déjà fait un trick.
Tu n’as jamais été trop du genre à aller chercher des spots au bout du monde, et plus fait ton truc, vers chez toi, je me trompe ?
J’aurais pu le faire plus, mais c’est un peu un luxe de voyager à fond et il faut réussir à fédérer un groupe avec qui tu as envie de voyager, pour revenir avec du contenu.
J’ai l'impression que ton skate a progressé, mais ne s’est jamais modifié dans sa forme et sa recherche, quelles qu’ont pu être les modes…
Comme j’ai skaté pas mal dans des skateparks en étant jeune, je kiffe autant de faire de la mini que d’aller faire des wheelings plus techs en ville. C’est clair qu’il y a des modes mais il faut faire ce qui t’amuse et pas ce que les autres voudraient que tu fasses. Je me vois mal faire des boneless !
Aujourd’hui, est-ce que tu es encore influencé par de nouvelles personnes ?
Les passionnés.
Passons aux choses sérieuses, tu as toujours eu une passion pour une culture que l’on qualifiera de « noire américaine » pour être réducteur. Tu sais d’où cela te vient ?
Je ne sais pas si c’est vraiment ça… J’ai écouté à fond de hip-hop, et maintenant, j’écoute à fond de jazz. J’essaie de ne pas trop tomber dans ce truc d’idolâtrer les États-Unis. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui ont été ou qui vont au bout du truc, la passion jusqu’à la folie ! L’énergie créatrice dans l’adversité… Il est sûr que la population afro-américaine a su se servir de toutes ses épreuves pour créer de nouveaux courants, mais il n’y a pas que ça.
Est-ce que c’est quelque chose que tu cherches à mettre en avant dans ton travail artistique ?
J’essaie surtout de mettre en avant le rapport entre un personnage et son environnement, d’où les cartes ! Que du Bic noir pour le perso, comme une hombre, et c’est la carte qui donne tout le reste. Du coup, j’essaie de chercher un peu partout d’anciennes cartes avec un peu plus de cachet, des trucs des années 70. Ça se sent direct’, graphiquement. À la Braderie de Lille, j’ai fait toute la ville pour trouver un mec qui avait un petit carton avec quelques trésors, j’ai tout pris de suite. J’essaie vraiment de ne faire que des trucs que je kiffe, sans être dans la projection. Tous les personnages que je choisis font, dans un sens, partie de moi. Bizarrement, je vois plein de parallèles avec le skate…
De quel type ?
Le rapport du skateur à la ville, évidemment mais aussi dans la façon de faire. Comme je le disais, la recherche des cartes, un peu comme la recherche d’un spot et l’endroit idéal pour faire un trick que tu as en tête, ou un personnage… La technique est importante, mais l’esthétique encore plus, dans les deux cas, et aussi la satisfaction que j’en retire. C’est un truc auquel je n’ai pas forcément réfléchi, ça m’est tombé dessus, c’est venu naturellement.
Pour la petite histoire, c’est lorsque j’ai reçu cette carte de Médecins du Monde, je crois, que j’ai fait ce premier portrait de Melvin Van Peebles. Et il y a eu une suite d’événements : le jour où j’ai fini le dessin, un cadre de la taille de la carte était dans ma rue : un signe, quoi ! Et une semaine après, même chose : en passant devant un local associatif juste derrière chez moi, ils jetaient des sacs-poubelles et, en jetant un œil, c’était rempli de cartes ! J’ai fait un petit tri, et c’était parti. J’en ai trouvées beaucoup plus, depuis. Ça servira bien un jour. Pour ceux qui en auraient dans leur cave, je suis preneur !
Dessin original : Olivier Ente.
Pour la planche que tu as récemment dessiné pour Magenta, et cette part, tu as choisi Fela Kuti…
Quand Soy m’a proposé de faire une board pour Magenta, j’ai commencé à réfléchir à ce que je voulais partager. Pas juste faire un joli graphique, qu’il y ait une dimension supplémentaire, et il se passe peu de jours sans que je n’écoute un son de Fela, donc c’était presque logique. Il ne restait plus qu’à le faire. Et pour la part, ça ne pouvait pas être autrement, c’est une sorte d’explication de la board, avec ce logo Tavu tiré du vinyle Expensive Shit, et le son de la part venant du même album, la boucle est bouclée.
Live c’est Fela
Skateboard c’est moi
Media c’est toi !
Fronside noselide transfert to fakie. photo : Perig Morisse
Tu n’es jamais allé à San Francisco ? C’est une ville qui t’a pas mal influencé, non ?
Ouais, ça a l’air fou, S.F. ! C’est aussi un bon exemple de ce que je disais, plus tôt. À San Francisco, tu as l’impression que chacun peut en tirer ce qu’il veut. Tout le monde s’adapte à la ville et la skate différemment.
Aujourd’hui, tu ne donnes plus de cours de skate. Est-ce que tu te vois essayer de développer ton travail artistique pour pouvoir éventuellement en vivre ?
Comme je disais, c’est un truc pas trop réfléchi au départ… Donc, petit à petit, mon idée change là-dessus… J’ai plein de bons retours, ça fait plaisir ! C’est même louche. En skate, tu fais un truc et à part tes potes, les gens sont souvent blasés, du genre : « Ouais, j’ai vu et alors ? ». Alors qu’avec les dessins, les réactions sont hyper positives, presque trop parfois, mais ça fait plaisir. Je ne voulais pas spécialement en vendre au début, puis j’en ai vendu quelques-uns…
L’avenir nous le dira.
Olivier tient à remercier Riot Distribution, Western Editon, Official Skateshop et Adidas.
Vous pouvez suivre son travail artistique, ici.