Greg Hunt / Interview
interview: Benjamin Deberdt, article: Aymeric Nocus
D'ancien pro chez Stereo Skateboards, la marque de Jason Lee et Chris Pastras, dans les années quatre-vingt-dix, à réalisateur de certaines des vidéos de skate les plus cruciales des deux dernières décennies - notamment la fameuse part de Dylan Rieder (oui, celle-là), entre autres vidéos TransWorld dont "SIGHT UNSEEN" et institutions culturelles telles que "THE DC VIDEO" ou "MINDFIELD" - le parcours de Greg Hunt est atypique. Si l'esthétique des premières vidéos Stereo, très artisanales, ainsi qu'un cadeau de la part de Gabe Morford l'ont, très tôt, incité à poursuivre sa passion pour le travail de la pellicule, son enthousiasme pour la photographie fixe persiste, peut-être, à être moins réputé que son attrait pour les images qui bougent, malgré une activité constante en matière de publication. Comme pour surligner l'importance de tout ce qu'il a bien pu documenter au fil des ans - et aussi de comment - "20TH CENTURY SUMMER", son nouveau livre chez Filmphotographic, vient justement de paraître et y figurent quarante-et-une photos auparamment jamais sorties, toutes extraites des premières pellicules jamais shootées par Greg, dans le contexte d'une tournée de skate en plein été 1995... De quoi se poser quelques questions ; ce qui tombe bien, puisque Greg en personne y répond, on l'espère, ci-dessous !
LIVE Skateboard Media : Qui était Greg Hunt, au cours de cet été 1995 ?
Greg Hunt : J’étais un skateur de vingt-et-un ans habitant à San Francisco. Je skatais pour Stereo Skateboards. Toujours en tant qu’amateur à l’époque, et je commençais à me dire que je ne serais probablement jamais pro. C’était une période étrange de ma vie, mais une bonne période sur le plan créatif. J’ai commencé à faire beaucoup d’art et de musique à l’époque.
LSM : L’histoire veut que ces images ont été shootées avec ton tout premier appareil photo, peux-tu élaborer sur le sujet ?
GH : Oui, Gabe Morford m’avait donné un Minolta X-700 à peine une semaine avant ce trip. Il avait deux objectifs : un 50mm 1.4 et un fisheye. Je ne sais même plus vraiment comment ça s’est exactement passé, mais je devais être à fond de photo à l’époque et Gabe a sûrement reconnu ça. Le fisheye, lui, était le premier fisheye de Tobin Yolland, et je crois que l’appareil, c’était l’un des premiers de Gabe.
LSM : Dirais-tu que ce matériel (avec les objectifs, etc.) a influencé ton style en photo par la suite ? Qu’il a été formateur et ce, dès ta première expérience ?
GH : Je pense, clairement. Apprendre la photo sur un appareil argentique et manuel m’a poussé à apprendre la profondeur de champ, la vitesse d’obturation. Je crois que c’est justement l’acquisition de ce type de contrôle pour ensuite voir les résultats se révéler littéralement qui m’a rendu accro. Et un objectif 50mm est tellement parfait pour débuter, puisque ça implique davantage de travail pour rendre une composition intéressante.
Joey Bast, Coco Santiago et Bobby Puleo.
LSM : Qu’est-ce qui t’a donné envie de documenter ce trip, et puis ces moments du trip en particulier ?
GH : Honnêtement, je ne sais plus. Je crois que j’étais juste excité d’avoir un appareil et de faire des photos. C’était quelque chose de neuf pour moi. Aussi, je suis plutôt introverti et du coup, c’était une bonne opportunité pour moi que d’être proche des gens sans être parmi les gens, en un sens. Les photos de notre crew proviennent exclusivement de ce tour, et ont principalement été shootées dans les motels ou dans le van. C’était une tournée de démos de cinq semaines et sur les douze pellicules que j’ai shooté à l’occasion, il n y a qu’une seule photo de démo, le backflip. C’est également la seule photo dans tout le livre sur laquelle figure un skate.
LSM : D’une certaine manière, ces images m’ont toujours marqué comme étant très cohérentes, et on pourrait bien dire que ton « style » ou « oeil » en tant que photographe est déjà établi. Il y a quelques années, on avait déjà discuté du fait que cela pouvait peut-être provenir de ta documentation des trips Alien Workshop lors du filming de « Mindfield » et, au final, ce ne sont vraiment que quelques détails ici et là qui trahissent l’époque correspondant à ces photos, tel que la présence de tel ou tel skateur ou technologie. Avant même de t’y mettre, quel était ton intérêt pour la photographie, en avais-tu déjà un en tant que « spectateur » ?
GH : Mon père a été photographe, mais il a arrêté cette activité quand j’étais très jeune. Je pense que la plupart de mon intérêt provient de la consultation de magazines de skate, et aussi d’être pote avec plein de photographes de skate. J’ai passé beaucoup de temps avec Gabe Morford et il était toujours là à aller chercher ses pellicules au labo, tout ça, donc j’étais témoin. Les photos de Tobin m’ont toujours intrigué aussi, bien avant que je commence à shooter.
Coco Santiago.
LSM : Le skate a toujours attiré des gens issus de différentes catégories sociales et culturelles, et ce groupe en particulier ne fait pas exception. Je n’arrive pas à m’empêcher de m’imaginer Coco et toi comme deux opposés complets, question personnalité. Ma connaissance de son personnage s’arrête à un paquet de photos dans les mags, et à mon imagination ; du coup, je l’ai toujours imaginé comme un type « badass », disons, alors que tu es plutôt discret et réservé. Et cependant, il est présent sur beaucoup de tes images. Dirais-tu que l’appareil photo te permet de construire ce genre de ponts entre les gens ? A ce jour, peut-être ?
GH : Je m’entendais bien avec Coco. Aussi extrême que sa personnalité puisse avoir été, il m’a toujours semblé ouvert à rencontrer des gens différents de lui, et à entendre des idées nouvelles. Coco s’asseyait à l’avant du van à chaque fois, et il avait une mini bibliothèque de magazines National Geographic dans la boîte à gants. Il lisait tout le temps. Mais oui, l’appareil photo était comme un genre de pont. Il m’a donné une excuse pour sortir sans avoir à m’impliquer plus que ça. Coco s’en fichait, et donc j’ai fini par accumuler les photos de lui.
LSM : D’ailleurs, quelle était la bande-son commune, dans le van (même si les casques existaient déjà à l’époque) ?
GH : Coco était à l’avant en permanence et donc c’était beaucoup de King Diamond. Mötörhead aussi, je crois, je ne sais plus vraiment.
LSM : Quand as-tu rencontré Jason Lee, du coup?
GH : C’était en 1993, alors qu’il visitait SF. Je ne sais plus s’il dormait chez moi ou s’il passait juste, mais je me souviens clairement de lui faisant de la guitare dans mon salon, debout, là à improviser des chansons marrantes pour nous, comme un petit concert. Et puis on a skateboard ensemble à EMB, ce dont je ne me souviens absolument pas. Mais c’est comme ça que j’ai commencé à skater pour Stereo.
LSM : Et puis finalement vous vous êtes retrouvés, plus tard, sur ce projet ; comment cela s’est-il passé ?
GH : On se voyait de temps en temps, toujours, mais on s’est retrouvés à plein temps en 2016 ou quelque chose comme ça, notamment à travers notre intérêt mutuel pour la photo. Ensuite, je l’ai accompagné sur un trip photo à travers le Texas en 2017 sur lequel j’ai réalisé un petit film qui n’est pas encore sorti. Et puis, quand il est revenu à LA, on a commencé à se revoir plus fréquemment.
Drake Jones.
LSM : J’imagine à peine ce que ça doit être que d’assembler un tel projet ensemble, comme la consécration d’un moment particulier de votre vie sous la forme d’un projet « finalisé »
GH : C’est plutôt cool comme impression. J’ai envie de faire davantage de livres, maintenant, avec tout ce que j’ai pu shooter au fil des vingt dernières années.
LSM : Que penses-tu de l’obsession actuelle avec les années quatre-vingt-dix, dans la mode, la musique, la culture et puis, aussi, le skate ?
GH : Je trouve que c’est drôle en un sens, mais cool. Je n’aurais jamais imaginé que cette période serait un jour réclamée, et encore moins sa mode. J’ai toujours considéré cette ère comme la période sombre du skate : les roues étaient minuscules, les planches flippaient de partout, les sapes étaient énormes. Je n’ai jamais trouvé ça trop reluisant. Mais c’est probablement aussi parce qu’à l’époque, j’étais déjà en place et que Stereo en soi constituait un genre de réaction à cette ère du skate. Je pense que c’est pour ça que beaucoup ont soit adoré, soit détesté "A VISUAL SOUND" à sa sortie ; la vidéo était à contre-courant dans un tel contexte.
LSM : Certains d’entre nous reconnaîtront en particulier l’image qui a fini en tant que cover art du tout premier disque de Tommy Guerrero "LOOSE GROOVES & BASTARD BLUES", sorti chez Galaxia Records, le label de Thomas Campbell. Peux-tu nous raconter comment cette photo est arrivée, et puis comment elle a fini par suivre un tel parcours ?
GH : On était dans un motel à Jacksonville. Ce kid était juste là, avec plein d’autres kids, aucune idée de s’ils étaient potes ou de la même famille. Mais il traînait avec nous et a fini par saisir ma guitare. C’est aussi simple que ça. Je ne me souviens plus vraiment de comment ça a fini en couverture d’album à part le moment où Tommy m’a montré le design final, dans la galerie art de Deluxe. J’étais à fond, et en plus, il m’a payé pour, ce qui était vraiment généreux et cool. C’était la première fois qu’on m’a payé pour une photo.
"20th Century Summer" est désormais disponible, chez Film Photographic…