Meeting… Lucas Beaufort!

Lucas Beaufort, vous le connaissez sûrement grace à sa remarquable propension à expulser et propulser ses "monstres" personnels par dessus tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une couverture de magazine de skate. Loin de n'avoir qu'une seule corde à son arc, Lucas, en bon plasticien, sait également s'interroger sur l'importance de son medium de choix, tout en en exploitant d'autres (en l'occurrence, la vidéo) afin de présenter le fruit de ses réflexions: c'est bien ce travail que représente "DEVOTED", son nouveau film documentaire (visionnable en streaming ici), ayant le mérite de soulever un sujet des plus d'actualité, à savoir l'état réel de la presse skate papier en 2017 - parallèlement à l'apogée d'internet et à l'avènement du "user content" proposé en masse, notamment sur Instagram. Toujours mordu à TRENTE-SIX ans, c'est un Lucas Beaufort dévoré par sa passion et affamé d'échange qui nous a fait cadeau d'un peu de son temps, l'occasion pour LIVE Skateboard Media de gratter quelques précieuses miettes de savoir et autant de perles de sagesse, sous la forme de l'interview ci-dessous. Merci pour tout, Lucas!

LIVE Skateboard Media: Bonjour Lucas! Quand (et comment) l'idée d'aborder le thème particulier du déclin de la presse skate écrite t'est-elle apparue?

Lucas Beaufort: J’ai trente-six ans, donc j’ai connu cette période où il fallait aller au kiosque à journaux pour s’informer. Je crois que j’ai acheté tous les SuGaR depuis le premier numéro jusqu’à mes dix-huit, dix-neuf ans. Ensuite, avec l’apparition du net, j'ai réduit ma frénésie; "normal", tu vas me dire: c’était nouveau, tout frais et amenant des possibilités infinies. Même si ma consommation a chuté, j’étais toujours fan, et je ne manquais pas de garder ceux que je trouvais.
 
J’ai commencé le skate à treize ans, enfin à cinq ou six ans avec un skate poisson mais je ne savais pas ce que je faisais, c’était un jouet. A treize ans c’était sérieux, j’ai dit à ma mère: "je veux un skate avec les deux côtés relevés" (rires), je ne connaissais pas les mots "tail", "nose", mais je trouvais ça tellement excitant. J’ai acheté une planche Element à Toulouse, chez Okla je crois, et c’est parti de là.
 
J’ai commencé à peindre sur le tard, sans vraiment savoir ce que je faisais. J’ai peint sur une couverture de Vice (en 2009, je crois), et j’ai finalement eu droit à un abonnement à l’année. Là j’ai regardé autour de moi, et j’ai vu tous les mags de skate entassés dans ma chambre et je me suis dit : "voilà la plus belle occasion de recevoir tous les magazines de skate du monde à la maison". Sept mois plus tard, je recevais pas loin de trente mags et zines de skate en provenance du monde entier. Je suis devenu incollable et j’ai tissé des liens avec les mags en question.
 
Avec les années, j’ai vu des mags disparaître (Skateboarder, Color, Slap), et j’ai aussi pu remarquer la maigreur de certaines publications - TransWorld était un bon exemple, passant de quatre cents pages début 2000 à quatre-vingts il y a encore un an. J’ai réalisé que quelque chose se passait et, comme j’étais connecté avec tout le monde, je les ai tous contacté pour savoir si le sujet du futur de la presse papier skate pouvait les intéresser, et j’ai eu un oui massif.
 
Jaime Owens (TransWorld SKATEboarding) pour "DEVOTED"
Jaime Owens (TransWorld SKATEboarding) pour "DEVOTED". Ph.: Lucas Beaufort
 
LSM: D'ailleurs, à ton avis, doit-on réellement parler de déclin, ou plutôt de transformation ?
 
LB: Je pense qu’on a trop attendu, pensant que ça allait passer. Lorsque je dis "trop attendu", je fais référence à cette transition entre avant internet et depuis internet. On a mis vachement de temps à comprendre que le net était un allié; du coup, cette transformation a eu du mal à arriver, laissant souvent des mags sur le carreau.

"C’est facile de dire "c’est pas ma faute, c’est internet"; la vérité se cache aussi, sûrement, derrière le contenu"

Le déclin, je l’ai vu sur le nombre de pages, et sur le tirage, qui était à la baisse aussi. J’ai bossé dans la presse (pour Desillusion) et, à l’époque de la crise, en 2007, on avait pas trop le choix. Comme on avait des choses à prouver, on a décidé de faire l’inverse: au lieu de diminuer la qualité, on l’a augmenté, et ça a payé.
 
LSM: Internet a tôt fait d'avoir des conséquences sur l'effervescence des publications papier (voire sur l'intérêt de certaines), l'information généralement colportée se diluant entre les deux types de média; ceci dit, n'existe-t-il pas aussi un contrepoint positif? Cette cohabitation ne pousse-t-elle pas les magazines (surtout les plus mainstream) à étayer davantage la qualité de leur contenu, afin de mieux se distinguer dans la compétition? Articles davantage ciblés, choix des intervenants plus pertinent, interviews plus pointus…
 
LB: Je pense qu’il est facile de blamer internet, mais on a tous notre part de responsabilité. C’est facile de dire "c’est pas ma faute, c’est internet"; la vérité se cache aussi, sûrement, derrière le contenu, qui est à mon sens trop dénigré.
 
Pourquoi ne ferait-on pas un magazine de skate comme on écrit un roman, avec des moments de joie, de peurs, de rires. Pourquoi peux-tu lire quatre-cent-cinquante pages d’un livre d’une traite? Car il est si passionnant que tu ne peux t’arrêter de le dévorer. J’aimerais franchement trouver ça, dans la presse skate, cette sensation qui provoquerait en moi une extrême addiction et me conduirait à avoir une envie pressante du prochain numéro.
 
Alors oui, pour rejoindre ton propos, je suis à 100% dans cette idée de faire moins pour faire mieux. Il faut se rendre à l’évidence, on ne peut plus sortir un canard par mois, ni même tous les deux mois, alors sortons un magnifique sujet une fois par an et partageons-le avec nos amis, notre famille - il faut que ce soit une fête, qu’on célèbre sa sortie comme il se doit. 
 
Keith Hufnagel pour "DEVOTED"
Keith Hufnagel et le "FTC book". Ph.: Lucas Beaufort
 
LSM: Au sujet des intervenants, d'ailleurs, comment as-tu choisi ceux de "DEVOTED" ?
 
LB: Il faut savoir que j’ai contacté pas loin de cent personnes. Quand on regarde "DEVOTED", la première réaction qu’on peut avoir c’est "OK, le mec, il aime les ricains!", mais j’ai contacté pas mal de médias en Europe et - à ma grande surprise - certains ont décliné l’invitation, sans doute parce qu’ils ne me prenaient pas au sérieux. Moi, j’étais frustré, car je voulais conserver un équilibre. J’ai voyagé au Japon et je me suis rendu compte que personne ne parlait l’Anglais à part une personne, Masafumi Kajitani de VHS Mag, et encore, il était super tendu, il avait du mal à s’étendre sur le sujet.

"C’était important pour moi de placer Surge, Cemporcento, The Quiet Leaf... pour montrer que le skate ne s’arrête pas à TransWorld, Thrasher ou The Skateboard Mag"

Ensuite je suis passé par l’Australie où c’était finalement assez facile (pas de barrière de la langue), puis l’Europe. J’ai voulu questionner Henry Kingsford de Grey, mais le gars n’était pas à l’aise devant la caméra. Les gars de Free ne m’ont jamais répondu, pourtant j’avais une sacré liste d’intervenants. Pour éviter de faire des voyages dans le vent, j’ai écrit des emails à tout le monde et la langue a posé un problème, c’est indéniable.
 
Pour finir je suis parti aux US et ce fut magique, il faut l’avouer. J’ai rencontré des gens qui étaient mes idoles quand j’étais kid, mais ce ne fut pas un jeu d’enfant. L’approche avec Thrasher a été la plus compliquée. Quand je leur ai annoncé que The Skateboard Mag, TransWorld et d’autres médias seraient dedans, ils m’ont mis une barre. J’ai rencontré Jim Thiebaud qui a voulu m’aider à San Francisco. Il a écrit à Tony Vitello (boss chez Thrasher) et ça n’a pas suffi. Alors j’ai dû être finaud, me glisser dans un carton pour arriver à mes fins.
 
LSM: Etait-ce un choix éditorial conscient que de sélectionner presque exclusivement des pontes de la presse skate (avec, donc, quelque chose à vendre)? Es-tu satisfait de la direction, du résultat final?
 
LB: Avec du recul, je suis content d’avoir suivi cette direction, même si j’ai été dépendant de la bonne volonté des gens. J’ai dans mon disque dur plus de deux heures d’interview avec chacune des quarante personnes que j’ai eu la chance de rencontrer. Quand tu regardes le film, Marc Johnson, on le voit peut être deux minutes et trente secondes, alors que j’ai une bombe de deux heures; pareil pour Burnett ou encore Reda. L’implication des pontes de la presse est un plus pour moi car ils suscitent de l’intérêt pour regarder le film, il faut être honnête.
 
Kevin Marks, "Look Back Library" à l'AVP de "DEVOTED" à L.A
Kevin Marks, "Look Back Library" à l'avant-première de "DEVOTED" à Los Angeles. Ph.: Lucas Beaufort
 
LSM: Aurais-tu été ouvert à interroger davantage d'acteurs du média skate venant de milieux plus alternatifs, plus modernes peut-être? Je pense à des témoignages de personnes donnant dans l'autoproduction à la petite échelle - pourquoi pas en Europe - comme Sergej Vutuc (qui se sert de façon très moderne des réseaux sociaux afin d'écouler son stock de bois mort, d'ailleurs), ou de capter davantage de Richard Hart (Push Periodical) ou de James Whineray (Bilde Paper), les deux connaissant une lutte perpétuelle avec le branding de leur projet, d'ailleurs.
 
LB: Je suis content d'avoir intégré des personnes telles que Kevin Marks, qui est beaucoup moins connu qu’un Steve Berra et qui fait l’apogée d’un mag tel que Lowcard. Il y a un mixte dans ce film, on peut voir un Eric Swisher qui a un blog beaucoup moins connu que Thrasher mais qui mérite le détour. J’ai voulu approcher des plus jeunes - genre moins de vingt ans - pour connaitre leurs avis sur la question du papier et après quatre tentatives, j’ai préféré me concentrer sur les anciens. Pour l’anecdote, le plus jeune dans le film c’est Mike Mo Capaldi, il est plutôt du genre bavard, mais au final j’ai été assez déçu car il n’était pas si inspiré par le print, j’ai souvent du passer à la question suivante (avec tout le respect que j’ai pour lui).
 
Je connais bien Sergej, c’est un super mec qui aurait eu des choses à dire, je suis d’accord avec toi, mais on a pas pu se croiser. Pour Richard, je l’avais contacté lorsque j’étais à SF mais il était en déplacement, mauvais timing, petite frustration pour moi. James de Bilde, on était en contact mais mauvais timing aussi, et puis je me suis quasi auto-financé avec ce projet donc ç’eut été lourd, sur le plan du numéraire, de prendre un avion last minute pour faire un interview - d'une manière générale, j’ai du être très malin en groupant les interviews au cours de mes différents séjours.
 
Si tu regardes dans le film, j’ai placé Bilde et d’autres mags méconnus du grand public, c’était super important pour moi de placer Surge, Cemporcento ou encore The Quiet Leaf pour montrer que le skate ne s’arrête pas à TransWorld, Thrasher ou The Skateboard Mag.
 
Eric Swisher (chromeballincident) pour "DEVOTED"
Eric Swisher (de chromeballincident) pour "DEVOTED". Ph.: Lucas Beaufort
 
LSM: Quel est ton avis sur les magazines gratuits?

LB: Je suis assez pour, regarde, hier j’étais à Cannes, ma ville de naissance, et je suis allé faire un tour chez Papatoro, le seul shop de skate du coin. Il y avait le dernier Soma et je suis reparti avec, tout content.  J’imagine que les plus jeunes ont un portefeuille bien maigre et que, si on veut intéresser cette génération, le magazine gratuit est une bonne alternative, donc oui, je suis pour. A Propos est important aussi, dans ce rôle de transmission. On ne se rend plus trop compte aujourd’hui, mais quand j’avais quinze ans, j’aurais bien aimé avoir un mag de skate gratuit; quelque part, c’est une chance dont il faut profiter.

"On a beaucoup à apprendre chez les autres"

LSM: Est-ce réellement une nouveauté et, concrètement, cela change-t-il vraiment la donne? Hormis l'allocation d'un plus gros budget pour rémunérer le personnel.
 
LB: C’était clairement une réponse à internet; les marques disaient "vous ne vendez plus de mags à cause du net", du coup les gars sont passés en format gratuit, comme ça, il n’y avait plus de soucis. Je suis un gros défenseur de l’initiative; je préfère le gars qui fait avancer le schmilblick au type qui pleure et qui dit que c’était mieux avant. 
 
LSM: D'un autre côté, certains magazines de qualité - comme Push - passent en gratuit faute de meilleure option, tout bonnement car le milieu est devenu peu viable... Selon toi, quel est le meilleur moyen de fonctionner pour une publication papier de nos jours?
 
LB: Je pense qu’aujourd’hui, on a plus d’excuses. On a les moyens technologiques pour contacter tout le monde d’un clic, de toucher n’importe qui. Regarde, je vais te dire les choses franchement: ça n'est plus qu’une question de motivation, plutôt qu’une question de pognon. Si je te dis avec combien d'argent j’ai fait mon film, tu te dis "OK, alors tout est possible". J’ai fait du stop, dormi chez l’habitant, mangé des soupes toutes faites, j’ai reçu beaucoup d’amour, surtout récemment au Portugal - à Lisbonne - où j’ai rencontré des gens tellement joyeux et heureux de t’aider pour zéro euro.
 
Les Portugais m’ont aidé à terminer mon film. J’ai reçu un e-mail un soir, alors que je bossais sur "DEVOTED":  "salut Lucas, j’ai vu ton trailer pour "DEVOTED", si tu veux de l’aide, j’ai une équipe qui pourrait t’aider". Le lendemain, je suis parti à Lisbonne et j'y suis resté deux semaines, j’ai dormi chez Pedro Raimundo (de Surge), il m’a nourri, logé et fait découvrir le coin avec tellement de générosité.
 
Je ne veux pas faire de généralité mais quand je vais à Paris, j’ai l’impression d’être dans une autre dimension, je ne retrouve pas cette générosité chez les gens. On a beaucoup à apprendre chez les autres.
 
Pour en revenir au sujet, je pense qu’on peut facilement s’autoproduire, passer par des petits canaux de distribution tels que Palomino, sans parler des Kickstarter ou autre.
 
Lucas et son public à l'avant-première de "DEVOTED" à Los Angeles.
 
LSM: Et même dans un cadre tel que celui de l'autoproduction, crois-tu qu'il faille automatiquement fonctionner de pair avec les modes de communication modernes tels qu'Instagram?
 
LB: Personnellement j'adhère au média d’Instagram. Prenons juste l’exemple d’avoir la chance de pouvoir contacter n’importe qui - d’Eminem à ton voisin de chambre - d’un seul clic, c’est pas franchement merveilleux? Alors oui, Eminem ne te répondra pas ou alors c’est un robot, mais dans l’esprit, c’est quand même génial. Rappelle-toi, dans les années 90, quand tu voulais contacter une pointure, c’était mission impossible; maintenant, les kids interagissent avec leurs idoles! J’ai lu que Daewon Song répondait à tout le monde... C’est fou.
 
Quand je pense à ça, je me revois dans mon village, à Valbonne, à seize ans, avec ma petite board Shorty’s, à rêver de Chad Muska; si tu m’avais dit "man, tu peux le contacter d’un seul clic", j’en aurais pleuré. Je pense qu’il faut le voir comme un super outil de promotion, plutôt que de le diaboliser.
 
LSM: Une telle plate-forme nuit au contenu de la presse écrite mais, en même temps et paradoxalement, permet aux meilleurs artisans du format papier de se faire connaître et ce, peu importe leur origine ou leur style.
 
LB: Je préfère me concentrer sur ce qu'elle apporte de positif.

LSM: Partages-tu l'avis de Steve Berra au sujet du rôle du journalisme (selon lui, faire plaisir aux annonceurs...)?

LB: Je ne partage pas du tout son point de vue, mais il apporte un équiibre au débat. On a besoin de tous les genres à mon sens, du mainstream au plus core, car c’est la diversité qui est passionnante. Imagine un monde avec que des gars pointus, super intègres - on se frapperait dessus, ce serait l’enfer. As-tu lu l’interview de Steve dans Jenkem? Franchement, l’ayant rencontré, je me suis rendu compte du personnage et, pendant l’interview, il a eu des moments où il était excédé car il pensait que je voulais le faire mal passer. Steve et les Berrics représentent un côté du skateboard qu’on aime ou qu’on aime pas; je pense que Steve aime profondément le skate, à sa façon et personne n’est obligé d’adhérer.

"Pour moi, ouvrir un mag et le refermer trois minutes plus tard, c’est d’une tristesse sans précédent"

Je pense que de faire plaisir aux annonceurs est une erreur car plus tu donnes et plus tu te retrouves piégé. A l’époque où je bossais avec Desillusion, je vendais la pub, on était une petite équipe et le rédacteur en chef était du genre à ne pas se laisser faire, et il ne voulait surtout pas faire plaisir aux marques. Pour moi, c’était compliqué car je voulais trouver un juste milieu, mais avec le temps, j'ai compris qu'il avait raison: il ne faut rien lâcher et travailler intelligemment avec les marques, il faut qu’il y ait un respect mutuel.
 
Dave Carnie (Big Brother) pour "DEVOTED"
Dave Carnie (Big Brother). Ph.: Lucas Beaufort

LSM: Personnellement, ce point de vue m'a effrayé... Qu'en est-il de l'autocensure dans la presse skate, d'ailleurs?

LB: L’autocensure c’est un poison, qui veut en boire? Personne, et je vais te dire, les mags qui ont joué la carte de l’autocensure sont morts. Pour moi, ouvrir un mag et le refermer trois minutes plus tard, c’est d’une tristesse sans précédent.

LSM: La majeure partie du contenu des magazines étant dictée par les annonceurs, existe-t-il encore quelque dernier bastion de la liberté d'expression (même brute) dans le skateboard?

LB: Oui, bien sûr! Franchement, pour parler nationalement je trouve que David Turakiewicz (d'A Propos) n’a pas sa langue dans sa poche, et j’adhère à fond. Ian, de Jenkem, est franchement pas mal non plus, c’est d’ailleurs pour ça qu’il rencontre un tel trafic sur son site. Le mec a commencé par le web et finit par faire un livre, c’est pas banal quand même.

LSM: Quelque part, l'émergence de plate-formes permettant la diffusion de contenu à titre personnel et individuel comme les réseaux sociaux, justement, ne constitue-t-elle pas un contrepied à cette édulcoration du skateboard via les sponsors que la plupart des pratiquants sincères semblent justement rejeter?

LB: J’aime penser que tu as le droit de tout dire ou presque. Si demain, tu as envie de faire une page Instagram, Facebook ou autre qui fait l’apologie des cuisses de grenouilles, alors fais-le! Je vois des trucs complètement idiots sur Instagram et ça me fait marrer, entre le boucher turc qui a dix millions de followers ou le gars qui poste tous les jours depuis cinq ans la même photo de Vin Diesel, il y a vraiment à boire et à manger. Le truc, c’est que personne ne t’oblige à suivre quoique ce soit, c’est ton choix et c’est tout.

Peter Smolik pour "DEVOTED"
Peter Smolik. Ph.: Lucas Beaufort

LSM: Quid de l'avis de Smolik?

LB: (rires), Smolik, je l’ai rencontré juste après sa période où il était ultra célèbre dans le skate; il était alors en pleine descente, je crois que c’était autour de 2008, c’était un sacré numéro. Je le retrouve chez lui à San Diego huit ans plus tard et rien n'a changé! Son interview n’était pas super intéressante, mais ce qu'il dégage quand il parle du skate n’a pas de prix.

"J’ai halluciné car j’ai vu une industrie malade, alors que le skate dans la rue est de plus en plus palpable"

LSM: Enfin, quel est ton avis personnel sur le commentaire de Dave Carnie au sujet du futur de la presse écrite - selon lequel, depuis le temps qu'elle existe, elle est incontournable et ne s'en va nulle part? Ton opinion est-elle plus modérée que la sienne, moins positive peut-être, vu le ton général du film? 

LB: Ma rencontre avec Dave Carnie fut mémorable. Il était super grincheux, et il râlait sur tout, l’industrie du skate a pris cher!

Lorsqu’il parle du print, qu'il explique que l’homme écrit sur du papyrus depuis des milliers d’années et qu'aujourd'hui, tu retrouves toujours des romans dans les librairies, tu te dis que le papier est loin d'être mort. Il m’en a fait prendre conscience, donc je rejoins complètement son avis sur le sujet. Si tu vas faire un tour à la Fnac, tu verras que le livre est plus que jamais présent alors que le CD est réellement mort, finalement le print continue son chemin malgré l’évolution technologique.

LSM: Crois-tu qu'hormis les plus gros noms dont la carrière personnelle dépend directement de ce business, il soit réellement d'actualité de s'alarmer, voire de s'apitoyer?

LB: J’ai fait le salon de l'Agenda en juin 2016 à Long Beach et ce que j’ai vu n’était pas beau à voir. J’ai vu des pros que tu admires tous les jours errer de stand en stand à la recherche d’un billet. Je pense que lorsque tu as été habitué au caviar, c’est difficile de revenir au pâté. J’ai halluciné car j’ai vu une industrie malade, alors que le skate dans la rue est de plus en plus palpable; ça devrait nous faire réagir, il faut changer des choses, reprendre la main.

"DEVOTED" L.A premiere
Avant-première de "DEVOTED" à Los Angeles. Ph.: Lucas Beaufort

LSM: Au final, ce milieu est rempli d'hommes-enfants s'étant raccroché corps et âme à leur jeunesse pendant plus de trente ans, pour certains, qui se voient alors destabilisés dès que le système chancelle... Alors, quid d'un fatalisme dans l'absolu?

LB: Je pense qu’on est en train de vivre un tournant. Les gros poissons vont partir car ils ne trouvent plus leur compte dans le skate, ils ont tout mangé. Une fois les gros partis, il y aura moins d’argent mais ce sera plus sain. De toute manière, combien de personnes gagnent véritablement de l’argent dans le skate? 1%? La réalité est bien différente de ce qu’on essaie de nous faire gober avec la Street League ou autres Jeux Olympiques.

Marc Johnson pour "DEVOTED"
Marc Johnson, "DEVOTED". Ph.: Lucas Beaufort

LSM: Terminons-en pour de bon avec la dernière image de "DEVOTED", et la question qui fait rage: Marc Johnson en est-il réellement arrivé à ce point-là, question branding de son personnage?

LB: Lorsque j’ai rencontré Marc Johnson, c’était au lendemain de l'histoire entre Lakai et Adidas. Il était méconnaissable. Il fumait cigarette sur cigarette, buvait café sur café, et je le sentais à fleur de peau. Il a longuement hésité à me rencontrer, m’a posé des lapins à plusieurs reprises, et à force de m’accrocher j’ai enfin réussi à le rencontrer dans un café pas loin de chez lui. Ce qu’il m’a donné pendant cette interview de deux heures, je ne l’oublierai jamais. J’ai vu un homme bouleversé, mais à la fois totalement passionné par le sujet du futur du magazine papier. J’ai l’intention de montrer l’interview au complet pour que les gens puissent se rendre compte à quel point ce moment était intense. Il ne me connaissait pas avant ce rendez-vous et il s’est livré comme si j’étais son frère. L’émotion de Marc était réelle et nous avons eu une discussion hors caméra au cours de laquelle il a pu m’expliquer des vérités sur l’industrie du skate qui peuvent faire peur à entendre. J’ai voulu finir mon film sur son témoignage car au final, il ne parle que de l’amour qu’il a toujours eu pour le skateboard. 

LSM: Merci pour ton temps, et bonne continuation, Lucas!

 

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