Morgan Campbell, en 5!


Noseslide transfer dans le bank à Melbourne. Ph.: Dave Chami
 
Si le nom de Morgan Campbell vous dit quelque chose, c'est probablement - en tout cas, pour les plus jeunes, et moins Australiens, d'entre vous - dû à ses récentes apparitions dans les vidéos Magenta, ou encore du fait de ses moult guest boards, manifestations physiques du lien entre ses deux passions primaires : le skateboard et le collage. En tout cas, ça n'est vraisembablement pas à cause de son guest trick dans la vidéo Zero "Misled Youth", un impossible lipslide sur un rail entre Reynolds et Rowley, jamais crédité, ou peut-être que si? Quoiqu'il en soit, le bonhomme est actuellement en visite à Paris, afin d'exposer quelques-uns de ses travaux à la Delicatessen Galerie ce jeudi 2 novembre, et s'est prêté, pour l'occasion, au jeu du "En 5!", juste au bon moment pour vous en dire plus...

Bonjour Morgan! Premièrement, pourquoi Paris?

Et bien pour commencer, le concept de mon expo "Three Cities" est, comme son nom l'indique, de la mettre en place dans trois villes. En ce qui concerne Melbourne (la première date), il se trouve juste que c'est une ville fantastique, d'une part et, d'autre part, et bien, c'est là où j'habite. Glasgow (la deuxième date), c'est une ville rayonnante d'un point de vue architectural et culturel, et là-bas aussi, j'y ai habité. Enfin, quant à cette troisième date que celle de Paris, il se trouve que je me dois d'y être pour une réunion de famille (les quatre-vingts ans de mon beau-père) et du coup, je me suis dit qu'en profiter pour trouver le moyen d'y faire une expo, tant qu'à y être, ce serait un défi amusant à relever.

"Les numéros plus vieux (datant d'avant 1978) fonctionnent mieux avec la colle, aussi, à cause du papier mat..."

Il s'agit-là d'une raison, mais il y en a d'autres: Paris est un véritable joyau urbain ornant cette planète et, de ce fait, l'environnement et le contexte général de n'importe quel évènement s'y déroulant revêt immédiatement un caractère incroyable. Aussi, j'ai quelques origines françaises, mon père biologique vient d'ici et, bien que je n'aie pas grand chose à voir avec lui, je suis très proche de beaucoup de membres de ma famille ici; en somme, je ressens une connexion très forte avec ce pays qu'est la France, donc y organiser quelque chose en rapport avec mon art tombait sous le sens, finalement. J'ai toujours adoré Paris et, qui sait, un jour, peut-être y habiterai-je.


"Paris Block Party", collage par Morgan Campbell / Déjà Glu.

Concernant la manière dont l'expo s'est mise en place, j'ai un ami très cher ici, vous en avez peut-être déjà entendu parler : il s'agit du seul et unique Soy Panday. Evidemment, je savais qu'il était un artiste accompli et d'ailleurs, j'adore son travail, vraiment. Je lui ai demandé s'il connaissait un endroit où je pourrais éventuellement exposer lors de mon passage, donc, et il m'a radieusement tricoloré un spot : la Galerie Delicatessen, dans le onzième. J'ai rencontré le propriétaire l'autre jour, et on s'est vraiment bien entendus: Arnaud déborde d'énergie créative, j'ai vraiment hâte de travailler avec lui.

déniches-tu tous ces vieux numéros de National Geographic, dont tu réutilises l'imagerie dans tes collages?

As-tu déjà collectionné des vinyles? La plupart du temps, on déniche facilement des vieux National Geographic aux mêmes endroits où on trouve des vieux vinyles. Les boutiques d'occasion, les marchés aux puces, les vide-greniers, Emmaüs... Mon ami AJ m'a fait découvrir ce spot, MRC Stamps, à Moonee Ponds (à Melbourne), et c'est là où j'ai acheté le plus gros de ma collection.


Morgan en studio. Ph.: Casey Foley

Ceci dit, c'est très facile de dénicher des numéros dont je n'ai, en fait, pas besoin - je n'utilise que des numéros datant d'avant décembre 1989. Or, la plupart du temps, on tombe principalement sur des numéros datant des années 1990 ou 2000, c'est très frustrant.

Actuellement, j'ai tous les numéros sortis dans les années 80, ainsi que la plupart de ceux des années 70; c'est donc principalement les numéros sortis dans les années 50 et 60 que je recherche dorénavant, ainsi que tous ceux encore plus anciens, évidemment. Le monde avait l'air vraiment incroyable dans les années 60, ainsi que ses couleurs, telles que représentées dans la reproduction des photos. Les numéros plus vieux (datant d'avant 1978) fonctionnent mieux avec la colle, aussi, à cause du papier mat que National Geographic utilisait alors...


Collages originaux et guest artist boards correspondantes, tels que vu au "Three Cities" show à Melbourne.

les stockes-tu tous, et où préfères-tu travailler sur tes collages?

Je les stocke tous dans mon studio, qui se trouve au sein de ma maison à Fitzroy, Melbourne. Avant, j'avais trop de mags de skate; maintenant, je croule sous les mags en général. Ca fait même un bail que ma pile de National Geographic déborde par dessus ma collection de Slap Mags.

J'aime bien travailler sur mes collages au fil de mes voyages mais, en ce moment, avec tous mes dossiers, tout mon matériel et tous mes magazines (plus de cinq cents), je suis plus efficace dans mon studio. Une fois, j'ai réalisé un collage à Bali qui se trouve aujourd'hui dans la collection de ma mère: il s'appelle "Meanwhile in Atlantis" et j'avoue qu'il se distingue du lot à mes yeux parce qu'il a été fait dans un endroit différent, justement.

Lors de mes voyages, j'ai plutôt recours à un format de collage différent, ayant pour base un carnet de bord au sein duquel je ne m'autorise pas à écrire, c'est plutôt un journal d'images consistant exclusivement en une collection de collages d'objets trouvés, de cartes, de coupures de journaux, de flyers... Un travail dominant tout mon temps libre lors de mes déplacements, et caractérisant une façon fantastique de capturer à la fois la candeur de ces moments, et les tendances visuelles des époques auxquelles ils correspondent. 

"Meanwhile in Atlantis", collage par Morgan Campbell / Déjà Glu.
 
Quand peut-on s'attendre à te revoir dans une vidéo Zero?
 
Ha ha! Tellement de gens m'en parlent encore, de ce trick pour Zero. J'étais entre Andrew Reynolds et Geoff Rowley, dans la part "friends" de Misled Youth! Je dois beaucoup à Jamie Thomas, à ce sujet. J'ai tellement de chouettes histoires en rapport avec cette session. J'avais réappris impossible lipslide, un peu plus tôt cette année-là... Je les faisais sur un petit rail de skatepark. Puis Laban (Pheidas) a commencé à dire que je pourrais sûrement le faire sur un vrai rail. La première fois que je m'y suis essayé, c'était sur les rails d'ARCO: les huit marches marron où Heath faisait l'un des premiers backside nosebluntslide, il y a très longtemps. Koston y avait shooté un selfie en boardslide qui avait fini en cover de Big Brother, aussi - avec le fisheye de Rick Kosick.
 
Bref, j'avais essayé mon trick quelques fois à ce spot, mais on se faisait virer, alors que je savais que je pouvais le faire, je slidais à chaque fois, j'en ai peut-être même replaqué un, une fois. Du coup, j'ai changé mes plans et le spot suivant sur la liste était le rail de San Dieguito - celui que Tom Penny a complètement annihilé. Alors que je chillais à TransWorld un beau jour, Jamie Thomas est passé, il avait ouï dire que je comptais faire ce trick et est venu me dire: "il paraît que tu fais des impossible lipslides sur des rails; si jamais tu comptes en refaire un, tiens-moi au courant car j'adorerais en filmer un".

"J'étais super nerveux, on était plus ou moins en train de poser un lapin à Jamie Thomas"

Quand on fait son lit, on se couche, pas vrai? Du coup, quelques jours plus tard, Matt Mumford et moi, on part à ce spot, dans une école, où on est censés retrouver Dave Swift et Jamie Thomas. Mais l'école était pleine de gens, qui traînaient dans les couloirs; ça a saoûlé Matt et, en arrivant, Dave s'est rendu à l'évidence que ça allait être impossible de skater dans l'école à ce moment-là. Avant même que Jamie nous rejoigne, nous voilà repartis en mission sur un gap du coin, où Matt essaie backside 180, pendant à peine vingt minutes... J'étais super nerveux, on était plus ou moins en train de poser un lapin à Jamie Thomas.
 
De retour au spot de l'école - toujours plein de gens, toujours pas de Jamie, et encore moins de téléphone portable sur lequel l'appeler, à l'époque. Malgré l'évidence de comment on allait se faire virer, on a quand même essayé mon trick, et à ma plus grande surprise je me suis trouvé le rentrer et ce, à peine deux ou trois pelloches plus tard, c'est à dire dans les six, sept, huit ou neuf premiers essais. Ensuite, on s'est barré, et Matt et moi sommes partis au YMCA d'Encinitas, où on a pu observer Sluggo essayer des 900, depuis le parking...
 
Du coup, j'avais rentré le trick et fait la séquence, mais je ne l'avais toujours pas filmé et en plus de ça, j'avais posé un lapin à Jamie Thomas! Une semaine plus tard, j'y retourne, avec Matt et Jamie, cette fois. Je leur demande s'ils veulent bien skater le rail avec moi, et Jamie répond un truc du genre "bien sûr, par contre, ne compte pas sur moi pour essayer d'inventer un truc comme le tien", ce qui, sur le moment, m'a bien boosté. On a rentré trick de base après trick de base pendant un quart d'heure, sans jamais vraiment rater. En Australie, personne ne skatait vraiment de rails aussi gros à l'époque, et moins encore juste pour se chauffer - le niveau de ces types déteignait sur moi, clairement.
 

Nosebluntslide en 1992. Ph.: Rick Curran
 
Une fois prêt, Jamie a sorti la VX. C'était la toute première fois qu'on me filmait avec un death lens: voir Jamie dans les marches, brandir la caméra si près de moi, était intimidant, pour ne pas dire complètement terrifiant! A nouveau, j'ai rentré mon trick assez vite, mais Jamie m'a dit que j'avais une replaque d'écureuil dessus, ha ha! Du coup, j'ai ressayé, pendant presque une heure, je l'ai rentré une fois de plus, un cheval sur le rail plus tard et, finalement, Jamie a utilisé le premier - celui avec la replaque d'écureuil.
 
En fait, si je raconte toute cette histoire, c'est surtout afin de mieux expliquer ce qui est arrivé ensuite. Tu vois, à l'époque, Jamie et Matt adoraient parier, sur tout et n'importe quoi; et ce jour-là, Matt a proposé à Jamie: "je choisis cinq tricks que je sais que tu sais faire, et tu as dix essais au total pour tous les faire". Jamie a accepté le défi, pour cent dollars, et Matt a choisi les tricks suivants: frontside 5-0, frontside feeble, back smith, frontside boardslide ("parce que tu n'y arrives pas très bien", a-t-il précisé...), et frontside nosegrind. Finalement, Jamie les a tous rentré et ce, en ne ratant qu'une fois ou deux, dont une fois sur le nosegrind. Matt était dégoûté, et a proposé: "OK, quitte ou double: trois nosegrinds en trois essais".

"J'ai fait semblant de partir mais en fait, je me suis caché dans un couloir, et je l'ai observé"

Jamie a accepté à nouveau, pour une mise de deux cents dollars cette fois, donc; mais il a finalement raté le troisième nosegrind. Jamie était dégoûté, Matt a rigolé, et est retourné à la voiture... Alors que Jamie remontait en haut des marches. J'ai fait semblant de partir aussi mais en fait, je me suis caché dans un couloir, et je l'ai observé: il a rentré ses trois nosegrinds d'affilée, tout seul. Non seulement sans vidéo, mais surtout, officiellement, sans témoin. Un exemple monumental de la dévotion du bonhomme.  

Bon, je me suis clairement égaré une minute ou deux, là... Pour répondre à la question, je ne suis pas sûr d'avoir un jour un nouveau trick dans une vidéo Zero étant donné qu'au début de l'année 2000, je me suis fait mal plusieurs fois sur des rails et, depuis, je skate des spots plus petits, avec moins d'impact. Aujourd'hui, s'il est question de skater un spot plus grand que moi, il y a de fortes chances pour que ce soit un plan incliné plutôt qu'un gap. Afin de continuer à progresser en skate (ou à skater, tout court...), il faut être à l'écoute de son corps, et s'adapter à ses exigences. J'apprends encore, et toujours, mais je me dois d'être malin dans le choix des obstacles que je skate, sinon tout pourrait se terminer en une seule slam.

J'adore l'état actuel du skate car à notre époque, tout compte et, en même temps, tout progresse et ce, dans toutes les directions. Chaque jour, je vois des tricks et des lines dont on n'aurait jamais osé ne serait-ce que rêver, dans ma jeunesse.


"Membrane of the Seine", collage par Morgan Campbell / Déjà Glu.

Quand (numéro deux!) peut-on s'attendre à revoir un de tes collages sur une guest board?

Je bosse sur plusieurs collab', en ce moment... Mais je les garde secrètes pour l'instant. D'autres se manifesteront sûrement au cours de l'année... Cette expo à Paris sera ma troisième expo en solo de l'année et, pour l'an prochain, je suis partant pour de nouvelles collaborations et de nouveaux projets à plus petite échelle, qui seront moins laborieux à mettre en place et, sûrement, très amusants.

"Fred Gall - j'ai skaté Perth avec lui en 1996, et il m'a ouvert les yeux sur le potentiel de ma propre ville"

Qui sont cinq skaters et cinq artistes qui t'ont marqué, personnellement - célèbres ou non?

En skaters:

Mark Gonzales - le génie expérimental le plus dingue que le monde aie connu.
Mike Carroll - j'adore sa prestance et sa finesse.
Fred Gall - j'ai skaté Perth avec lui en 1996, et il m'a ouvert les yeux sur le potentiel de ma propre ville.
Alex Campbell - la puissance, le style et la vitesse, réunis en une seule personne.
Mike Arnold - un innovateur dont on entendra clairement beaucoup parler au cours des prochaines années

En artistes: 

Henri Cartier Bresson - ma référence en photo.
Keith Haring - ma référence en peinture murale.
Spike Jonze - ma référence en multimedia.
Grace Jones - ma référence sur scène.
Keith McIvor (JD Twitch, d'Optimo) - ma référence musicale. 


Panorama de l'expo "Three Cities" à Melbourne. Ph.: Nick Maughan

Enfin, quelle serait l'interprétation que tu pourrais faire de ton propre art?

Et bien, le skate a été mon premier ticket pour la liberté; ceci dit, du fait des limites du corps humain, j'ai toujours été conscient que je ne pourrais pas en faire continuellement, toute ma vie. Du coup, j'ai toujours été à la recherche d'un exutoire alternatif, une autre activité qui se trouverait, elle aussi, parfaitement réunir l'esprit et le corps. J'ai pensé à la musique mais, au jour aujourd'hui, je suis incapable de jouer d'un quelconque instrument... La découverte du collage s'est finalement imposée comme une révélation.

"C'est souvent bénéfique que de dégager [...] tous ces quadrillages, afin de mieux danser avec une toile vierge - ne serait-ce qu'un instant"

C'est une activité créative, mais également un moyen d'autoriser son esprit à vagabonder, s'égarer. Tu vois ce qui arrive parfois, quand on essaie un trick en skate, et qu'une fraction du temps disparaît - d'un coup, tu essaies ton trick, et à peine un clin d'oeil plus tard, tu l'as rentré et tu le réalises seulement au moment où tu replaques? La même chose m'arrive presque chaque nuit, alors que je travaille sur mes collages jusqu'au petit matin. Et quelques heures plus tard, lorsque je me réveille, je suis excité à l'idée de découvrir ce que les petits elfes dans ma tête ont façonné comme pendant mon sommeil car, réellement, je ne me souviens de ce que j'ai pu créer dans la nuit que très rarement.

L'inconscient est constamment désireux de regagner du terrain, de reprendre le dessus. C'est exactement ce qu'il entreprend dès qu'on se repose, d'ailleurs; mais ce n'est pas tout le monde qui s'autorise ce genre de liberté alors qu'en plein éveil. J'ai le sentiment que nos vies baignent un peu trop dans la structure, en général; du coup, c'est souvent bénéfique que de dégager toutes ces lignes, tous ces quadrillages, afin de mieux danser avec une toile vierge - ne serait-ce qu'un instant.

Merci, Morgan!

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Retrouvez le bonhomme ce jeudi 2 novembre à Paris à la Delicatessen Galerie, à l'occasion de la troisième date de son expo Three Cities, donc...

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