PREMIERE / Bears Skateshop "BEARS VIDEO" / INTERVIEW

La scène de Rennes est réputée de longue date pour son effervescence ; les désormais plus anciens se souviendront notamment des productions de Pacôme Gabrillagues, notamment de "CROSSWALK" en 2010 à l'aube de l'essor de la création indépendante européenne et, plus contemporainement peut-être, de la fameuse Galerie 126. La récente vidéo complète à la VX-1000 "UNCENSO-RENNES" par Théo Le Guével témoigne de la persistance des nouvelles générations locales à se montrer digne d'un tel héritage culturel et, entre autres activistes rennais par-delà les âges, Laurent Ségal se place aussi puisqu'à l'initiative de Bears Skateshop, anciennement Bamboo, ouvert sur place depuis 2004. Du coup, en un sens, c'est la célébration de presque deux décennies que représente la sortie nouvelle de cette "BEARS VIDEO", réalisée par Yoann Cailleteau mais, finalement, pas que, étant donné la variété des profils la composant somme toute, reflétant l'aspect du skateboard comme aventure humaine, d'une part et, d'autre part, suintant aussi l'huile de coude sous bien des aspects. Comme un point s'imposant à faire de lui-même, saisie fut l'occasion d'aller discuter avec l'ensemble des intéressés - qui se sont révélés avoir pas mal de choses à dire - histoire d'honorer tout ce bail à notre humble tour, quand même !

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Laurent Ségal

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LIVE Skateboard Media : Hello Laurent et merci pour le soutien de cette production vidéo, bien rennaise s'il en est ! Bon, c'est l'espace de rigueur où tu vends ta came et défends ta street cred ; peux-tu te présenter, raconter ton parcours dans le skate, dans la scène de Rennes et comment tu en es arrivé à la tête d'un skateshop bien en place ? Depuis combien de temps officies-tu avec Bears, maintenant ; qu'essaies-tu d’apporter à la scène, quelles initiatives locales notables soutiens-tu au fil du temps et outre l'aspect commercial, comment décrirais-tu ton activité en général ?
 
Laurent Ségal : Salut Aymeric, tout d'abord merci à vous pour cet article et interview concernant la scène rennaise ; c'est un grand plaisir de pouvoir présenter ses acteurs locaux, ainsi que leurs motivations et talents divers...
 

"[Rennes] est une ville
étudiante, [avec]
de nouveaux arrivants
tous les ans"

 
Alors je suis Laurent, gérant de Bears Skateshop à Rennes ; j'ai commencé le skate en 1990, je devais avoir treize ans. Rapidement passionné, j'ai toujours essayé de bouger le plus possible, découvrir de nouveaux spots, voyager le plus possible sur les compètes en France et en Europe - à l'époque, l'accès aux vidéos était moins facile : pas d'Internet, pas d'Instagram ou autres - nous nous échangions des copies de vidéo de skate sur VHS qui tournaient en boucle. J'ai du voir la "RUBBISH HEAP", la "NEXT GENERATION" et la "QUESTIONABLE" deux mille fois chacune...
 

Laurent Ségal, melanchollie. Ph.: Yoann Cailleteau
 
De même, à l'époque : beaucoup moins de skateshops - il fallait bouger sur Paris pour se fournir. Par la suite, avec des potes, nous avions proposé à un petit shop de tennis de faire un petit rayon skate, et c'est là que j'ai commencé par allier le travail et ma passion, en faisant des études de vente. Et me voilà à Rennes ! Le shop a ouvert en 2004 et, depuis le début, nous soutenons des riders, des projets de vidéo, des marques locales, et essayons au mieux de dynamiser la scène par des contests, des A.V.P., etc...
 

"Il faut rester
à l'écoute des autres
et savoir se remettre
en question"

 
LSM : Etre acteur pour sa scène via un shop, est-ce épanouissant ? Trouves-tu certaines difficultés à ce rôle, ou réussis-tu sans mal à gérer toutes ces responsabilités ? La pandémie actuelle a-t-elle affecté l'effervescence de la boutique et de la scène et si oui, en quel sens ? Au vu de la récente "UNCENSO-RENNES", déjà, j'ai l'impression naïve que question production vidéo, en tout cas, le contexte a été plutôt dynamisant.
 
LS : Oh oui, c'est très épanouissant. Grâce à mon travail, j'ai fait de très belles rencontres : ma chérie, des amis... Dont certains que j'ai vu grandir : des générations de kids qui, aujourd'hui, sont des adultes avec un travail, des enfants...
 
Mais, en effet, aussi des difficultés, des doutes, du stress et des nuits blanches, et peu de temps libre pour soi - il faut rester à l'écoute des autres et savoir se remettre en question...
 
La scène skate à Rennes se renouvelle sans cesse : c'est une ville étudiante et de nouveaux arrivants sont présents tous les ans. La pandémie a rendu les choses plus difficiles pour ce qui est de la moindre organisation de contest et autres events : des dates repoussées voire annulées en pagaille, plus dur de bien garder contact avec ça, mais heureusement il y a toujours des gens porteurs de projets et de motivation. Théo, avec la "UNCENSO", a eu le courage de finaliser ce projet jusqu'au bout et ça fait plaisir à voir.
 

Laurent Ségal, frontside nosegrind, Evreux, 2004. Ph.: Alexandre Pouillot

LSM : Le skate à Rennes en 2021 en particulier, c’est comment ? Quid des skateurs et de l’activité à ne pas manquer, et de la politique locale en matière de répression plancharoulettistique, de spots, de skateparks ? Et, finalement, comment en es-tu arrivé à décider de produire cette full-length Bears ?

LS : Le skate se porte bien ! Beaucoup de nouvelles têtes et de néophytes, comme partout je pense mais, du coup, des parks saturés, des spots avec des restrictions d'horaires...
 

"J'espère que
leurs efforts
pourront inspirer,
à nouveau,
d'autres personnes"

 
Pour la vidéo, j'ai presque honte de ne pas l'avoir fait avant, à vrai dire. Quand on a intégré Toad et Louise dans le team, c'est Toad qui m'avait dit "cool, on est une bonne équipe, faut faire une vidéo !". Ça semblait tellement une évidence, mais l'activité et le manque de temps font qu'il est difficile d'être sur tous les fronts.
 
C'est pourquoi je remercie de tout cœur tous ceux qui ont participé, de près ou de loin, à ce projet ; j'aurais aimé pouvoir être plus présent sur les sessions, le montage... Mais l'équipe a fait du super boulot, la vidéo démontre une bonne ambiance et des styles très différents. Le team est plutôt hétéroclite, j'espère que ça plaira au plus grand nombre et que leurs efforts seront largement récompensés par un grand nombre de vues et pourront inspirer, à nouveau, d'autres personnes...
 
Je vous aime, les copains - merci !

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Yoann Cailleteau

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LSM : Salut Yoann ! Merci d'avoir partagé ton travail avec LIVE, peux-tu nous raconter ton parcours dans le skate et la vidéo et comment tu as fini par chapeauter la réalisation de ce projet Bears ? Présente-nous qui a contribué en termes d’images et de graphisme, aussi. Et obtenir une animation de la part de Pacôme Gabrillagues, comment ça s'est passé, c'était facile ?

Yoann Cailleteau : Bonjour, merci à toi pour l'intérêt porté au projet.


Yoann Cailleteau, nollie backside tailslide. Ph.: ???
 

Pour ma part, ça fait plus de vingt ans que je skate, avec ma période sponso dans une ère lointaine (préhistoire). Et ça fait environ quinze ans que je fais des photos ; la vidéo, c'est plus récent.

"Être un ancien Rennais,
ça aide quand même"

Concernant Bears, on avait discuté vidéo avec Laurent entre l'arrivée de Louise, Louis-Marie et maintenant Yassine dans le team, cela semblait le bon moment.

J'ai demandé à Tommy Soirak de m'aider à la camera ; pour Yassine, cela à été géré par deux cameramen au Maroc et je les remercie : Mouad Mimouni et Ikbal Naamani.
 
Pour Hugo, j'ai demandé à la source : Louis Deschamps, et j'ai pu capter Hugo sur une journée ou deux pour compléter.
 
Sur les typos, on est deux : moi pour le titre et l'introduction de Yassine, et tout le reste : prénoms, crédits, c'est Alexis Legac, un mec avec plein d'idées.
 
Je t'avoue que pour l'animation de Pacôme, c'était assez facile : Laurent lui a demandé, être un ancien Rennais, ça aide quand même.
 
LSM : Globalement, comment décriais-tu l’ambiance sur les sessions et l’effort de réalisation, quelle expérience retires-tu de cette aventure ? A quel rythme la vidéo s’est-elle mise en place, à quel point as-tu pris ce rôle au sérieux et dans ta représentation du skate à Rennes, avais-tu un but, si oui lequel ? Avais-tu réalisé d’autres vidéos par le passé ? Comptes-tu en réaliser davantage ?
 
YC : Niveau motivation et ambiance, c'était au top : chacun avait des idées bien précises pour ses tricks, ça aide un peu.
 
Les plus anciens donnaient des conseils aux plus jeunes dans le team : les doublons, le bon choix de tricks, le bon spot, les cracks...
 

"Entre le Covid,
les blessures,
les disponibilités et
la pluie bretonne,
on s'en sort bien"

 
De mon côté, ça m'a permis de m'améliorer, et de décider de changer de fish-eye et de caméra mais j'hésite encore sur le modèle.
 

Yoann Cailleteau, ollie, Lorient. Ph.: Tim Trompesance
 
On a commencé à filmer il y a deux ans - au début, très tranquille, et puis cette année tout le monde ou presque s'est déter' pour finir le projet. Entre le Covid, les blessures, les disponibilités et la pluie bretonne, on s'en sort bien.
 

"Le côté western,
il y a deux raisons :
d'une, chez nous,
c'est un peu le 
far west"

 
Personnellement, j'ai essayé de conseiller des spots peu connus ou nouveaux car, sur les plus connus, tous les bangers ont été mis il y a dix voire vingt ans (Geoffroy Leblanc, Dany Hamard, Hugo). Et ausi de conseiller, selon le style de chacun, pour créer avec chaque part une ambiance et un style différent.
 
Le côté western, il y a deux raisons : d'une, chez nous, c'est un peu le far west avec ses bars et ses clochards en poncho, tels des cowboys de la street. De deux, petite ref' à une vieille vidéo rennaise : "LA CLASSE AMERICRENNES" avec des dialogues de fou dedans, tirée de "LA CLASSE AMERICAINE" - y a John Wayne, la légende, tu peux pas test.
 
A la base, je pensais suivre le même format que sur ma chaîne YouTube : un truc de dix minutes en gros, mais le projet a vraiment grossi et donc, je suis d'autant plus content qu'elle sorte enfin, deux ans après.
 

"Depuis le début de
l'année, on est
quatre à avoir
acheté des caméras, et
ça continue"

 
A côté de ça, je sors des montages, des petites capsules vortex sur ma chaîne YouTube, donc : RENNES CLUB, la dernière en date étant "STREETMAFIA".
 
Actuellement, je filme pour la nouvelle capsule et plusieurs web parts pour entre autres Alex Frey ou Tim Pham ; c'est presque fini et vraiment, ça va être lourd, on a bougé pas mal à Paris pour bien finir le truc. Aussi, une vidéo et une part de Mathias Bideau pour Damned Soul, nouvelle marque tourangelle typée métal.
 
Je suis aussi impliqué dans un projet de zine (avec la co-participation de Yann Quenez) chapeauté par Matis : MOMO Magazine, d'ores et déjà dispo. Depuis le début de l'année, on est quatre à avoir acheté des caméras, et ça continue.
 

Ph.: Yoann Cailleteau
 
Pour finir, le but de tous ces projets, c'est d'aider les gars à sortir des parts ou à avoir des rushs ou photos de côté au cas où ; passer de bons moments ; se faire plaisir avec les images, et faire rayonner la scène de Bretagne.

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Laurent "Meccano" Bigeard

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Ph.: Yoann Cailleteau

LSM : Yo Meccano ! Tu ne me remets sûrement pas, mais j'ai déjà skaté avec toi au tout début de la Poterie, avec Thibault Proux, illustre graphiste de son état. Je sais donc que ça fait un petit bail que tu skates à Rennes, veux-tu bien nous raconter ton parcours, comment tu as commencé, dans quel contexte et à quoi ressemblait la scène à l'époque ?
 
Laurent Bigeard : Hey Aymeric, ah si, je me souviens bien des sessions Popote avec père Proux ! Ça date, en effet !
 
Concernant le parcours - assez classique, j'ai grandi dans un p'tit village : à Saint-Aubin-du-Cormier, en Bretagne. Un pote avait acheté un skate, il était super fier de nous présenter son jouet, on a suivi l’affaire - et jamais arrêté, pour le coup.
 

"Pacôme - le papa
de la motiv',
c'était fou,
ça bougeait
tout le temps"

 
Mes parents se sont séparés, j’ai donc atterri à Rennes où, là, j'ai rencontré toute la clique du Mini Team : Hugo Maillard, les frangins Chambry et Momo. C'était une chouette époque, l'Arsenal (avant le street park) - c’était le rencard du mercredi aprèm après le collège, et du week-end, samedi et dimanche inclus ! De très bons souvenirs !
 
LSM : As-tu des souvenirs en particulier de l’époque à laquelle Pacôme filmait encore pour la « CROSSWALK » ? C’était à la fois la consécration d’une époque et le début d’une nouvelle ère locale que cette vidéo, non ? Peut-être as-tu d’autres productions locales à plugger ?
 
LB : La période Pacôme ! Wouah, ouais, c'était une sacrée période, le papa de la motiv', c'était fou, ça bougeait tout le temps ! Du street, du street et encore du street - Galib' (Pacôme) était vraiment motivant, super investi dans la scène locale, il a mis une pêche d'enfer à la scène rennaise, c'était chouette putain !
 

"J’y allais pour
acheter du matos
avec ma sœur -
et boum, c'est
devenu mon
beau-frère"

 
Comme ça j'ai pas vraiment d'idée, hmm... Je ne suis pas très à jour sur la scène du moment, papa de deux enfants et - ah, si! La vidéo "UNCENSO-RENNES" par Théo Le Guével ! Super filming, superbe ambiance de skate, ça tue.
 
LSM : A quoi ton histoire avec Bears ressemble-t-elle, comment t'es-tu rapproché du crew ? Skater à Rennes au fil des générations successives, en fin de compte, c'est comment ? Certains noms, styles ou spots locaux du passé qui te manquent et que tu souhaiterais évoquer ?
 
LB : Bears, c’est le shop local - j’y allais régulièrement pour acheter du matos avec ma mère, et surtout ma sœur - et boum, c'est devenu mon beau-frère ! Tellement de souvenirs !
 
A l’époque, ça s’appelait Bamboo, aussi : un à Rennes, l’autre au Mans ! A l’époque, Lolo avait mis une énorme TV cathodique, il y passait des vidéos récentes de skate, on était tous rendus là-bas après les cours ! C'était un peu la garderie ; je vois encore Lolo apercevoir les troupeaux débouler à dix-huit heures pendant sa pause clope [rires] ! Je t'aime Lolo !
 
Les générations, hmm - ça change, évidemment, les plus jeunes prennent la place des moins jeunes, mais il y a toujours une super dynamique de skate à Rennes. Après, comme je te le disais plus tôt, je ne suis pas trop l'actualité (mis à part quelques vidéos sur Insta, que je checke de temps en temps). Certains noms qui me manquent le plus à Rennes : Pacôme Gabrillagues, Simon Debord, Stéphane Foglio, Julien-Yacine Chaqra (Momo) et surtout notre pote Yanasse (Yan Lamballais), parti l'année dernière… R.I.P. bro, love.
 
Un spot qui me manque ? Wouah, là, comme ça... Ah si, peut-être le Get High, et l'Arsenal, avant !

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Yassine Megherbi

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Mouad, Yassine & Antoine. Ph.: Laurent Ségal
 
LSM : Bonjour Yassine, peux-tu te présenter ? D'où viens-tu exactement au Maroc et comment, et où, as-tu commencé le skate ? Puis comment t'es-tu retrouvé, finalement, connecté à Rennes et au crew de Bears ? En bref, quel est ton parcours et quelles sont tes inspirations ?
 
Yassine Megherbi : Yassine Megherbi, vingt-cinq ans. Né à Oujda.
 
J'ai découvert le skate en 2009 grâce au propriétaire de Matter Skateboards (Ikbal Naamani), que j'ai vu skater sur un spot à Oujda. J'étais surpris par ses techniques, dont le crooked grind sur un banc. Les skateurs à cette époque se faisaient très rares ; cela ne m'a tout de même pas empêché de me lancer dans le skate.
 
J'ai fait connaissance de Bears à travers Patrick Lhomme. J'étais en recherche de sponsors ; Patrick leur a donc envoyé certaines vidéos de moi en train de skater. On a eu quelques échanges intéressants sur le sujet et, principalement, l'esprit de leur groupe. 
 
Mon inspiration serait de forger mon niveau et de pouvoir graver mon nom dans l'histoire du skate au Maroc et ensuite ailleurs.
 

"[...] Montrer
non seulement
la scène skate
au Maroc, mais
toute une culture
du pays"

 
LSM : Par bête curiosité, as-tu déjà vu cette vidéo de tournée Cliché à Casablanca, il y a déjà près de vingt ans ? C'était là l'un des premiers ponts reliant le Maroc au reste du skate européen, en quelque sorte. Que penses-tu de cette réalisation, et de cette initiative de tournée déjà à l’époque en général ? Peut-être reconnais-tu certains paysages ou spots ? Dirais-tu que le skate est davantage rentré dans les moeurs, entretemps, apparemment ? Enfin, saurais-tu décrire la scène skate marocaine actuelle, et peut-être que tu souhaiterais mentionner des skateurs ou projets locaux, aussi ?
 
YM : La vidéo tournée au Maroc a certainement eu beaucoup d'impact à cette époque-là, étant donné que le skate était considéré comme sport émergeant. La vidéo a participé à montrer non seulement la scène du skate au Maroc, mais toute une culture du pays.
 
Hélas, certains spots, aujourd'hui, n'existent plus, pour plusieurs raisons différentes.
 
Cela dit, les spots continuent à pousser dans certaines villes ; notamment dans les grandes villes du Maroc, comme Casablanca. Certains spots attirent la curiosité de jeunes skaters venus d’ailleurs, et ceci permet surtout de créer un plus grand réseau et de belles collaborations.
 
Skateur : Ayman Taibi, de Rabat. Faisant partie de la nouvelle génération, avec un potentiel très prometteur.
 

Ph.: Laurent Ségal

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Nans Arnaud, Clément Paistel, Louis-Marie Poirel, Damien Thebaud

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LSM : Hello les gars ! Pouvez-vous vous présenter, ainsi que raconter votre parcours personnel dans le skate à Rennes - quand avez-vous commencé et dans quelles conditions, et comment vous êtes-vous finalement rapprochés de Bears ?
 
Nans Arnaud : Je m'appelle Nans Arnaud - Nans c'est mon prénom, Arnaud mon nom de famille, pour tous ceux qui auraient un doute ! J'ai commencé le skate il y a environ dix-sept ans à Dinan, une petite ville des Côtes-d'Armor, puis je suis venu vivre à Rennes il y a une dizaine d’années. Je skatais beaucoup jusqu'en 2012, et puis j'ai eu des grosses blessures, puis pas mal de boulots qui m'ont un peu fait mettre le skate de côté. Ça se résumait parfois à quatre sessions dans l'année, souvent car il y avait un petit contest, histoire de choper du matos.
 

Nans Arnaud, ollie. Ph.: Yoann Cailleteau
 
Ces dernières années, je bossais en cuisine, un métier aussi prenant que passionnant, mais je viens tout juste de démissionner pour me consacrer à un autre projet pro, profiter un peu plus de la vie, des voyages, du skate et de mon chien. A côté de ça, je donne des cours de skate de manière ponctuelle pour une asso depuis six ans.
 

"​La vidéo ressort
quelques fois
en soirée"

 
Mes potes de skate les plus anciens (et les plus taquins) se rappellent de mon passage chez Oxelo Skateboards avec qui j’avais eu la chance d’aller en Inde, un voyage inoubliable. La vidéo ressort quelques fois en soirée, quand mes potes essayent de me faire chier [rires].
 
Pour ce qui est de Bears - Lolo m'a proposé de me commanditer quasiment dès que je suis arrivé à Rennes. Voilà pour mon petit parcours skateboardistique !
 

Clément Paistel, kickflip. Ph.: Yoann Cailleteau
 
 
Clément Paistel : Salut Aymeric ! Je me présente, Clément Paistel, trente-trois ans, surnommé Toad - prononcez "Todd".
 
Je pratique le skate depuis que j'ai quinze ans ; j'ai commencé à skater à Pontivy, ma ville de naissance, avec mes voisins. On descendait un downhill à côté de chez moi ! Après ça, je suis allé au skatepark et j'ai appris le ollie et à faire des tricks... J'ai jamais arrêté de skater depuis que j'ai commencé, et je kiffe toujours autant !
 

"Il ne s'agit pas
de skateurs et skateuses,
mais juste du
beau skate"

 
Ça fait un peu moins d'une dizaine d'années que j'habite à Rennes. Il y a une super scène skate et vraiment une bonne ambiance. Je suis rentré, à ma grande surprise, dans le team Bears il y a quatre ans, en même temps que Louise - on a le droit à des boards et des réductions !
 

Louis-Marie Poirel, ollie. Ph.: Yoann Cailleteau
 
Louis-Marie Poirel : Salut, et merci pour l'interview ! Moi c'est L.M., vingt-quatre ans ; je viens de banlieue parisienne, à la base. J'ai commencé le skate à Sèvres - 92310 - à treize, quatorze ans. Arrivé à Rennes en 2018, sur Brest actuellement. Au bout d'un an, un an et demi, j'ai commencé à avoir de meilleurs liens avec Bears et ils m'ont proposé leur aide et leur support. C'était la première fois qu'un skateshop me proposait d'eux-mêmes un soutien ! J'étais, et suis, grave content.
 

"Je ne sais pas
ce qui peut manquer,
j'avoue... Peut-être
de la sincérité"

 
Damien Thebaud : Je suis Damien, né dans le skate en 2008 à Saint-Brooklyn, dans le 22. A cette époque, les montages de Pacôme et la bonne ambiance apparente du crew Hugo-Meccano-Chambry nous faisant rêver, Rennes représentait l'Eden du skate. A la sortie de la "CROSSWALK" pour eux et du lycée pour ma part, je n'ai pas eu d'autre choix que de m'expatrier dans la métropole bretonne.
 
J'y ai très vite été bien accueilli, mais j'ai gardé un pied à Saint-Brieuc en ayant un « arrangement » là-bas, avec le shop Silverbay. Il a fallu attendre trois, quatre ans de vie à Rennes, et l’arrivée d'un certain François « Masta » Tizon pour me motiver à abandonner mes vieilles casseroles et rejoindre le team Bears.
 

Damien Thebaud, nollie. Ph.: Yoann Cailleteau
 
LSM : Filmer cette part, ça s'est passé comment ? Etait-ce plutôt spontané comme expérience, ou vous-êtes vous retrouvés malgré tout sur de réelles missions pour certains clips ?

NA : Alors pour la vidéo, j'avoue que ma part est minuscule. Je ne sais même pas si on peut parler de part ! Je n'ai vraiment pas pu dégager de temps pour ce projet avec mon travail de nuit à la poste, et en cuisine le jour. On était pas trop raccord niveau planning filming, avec Yoann. Les rares sessions de skate que j'ai pu faire, je les ai consacrées à une part pour une autre vidéo ("UNCENSO-RENNES" de Théo Le Guével), ça a vraiment marqué ma reprise et, du coup, je suis hyper motivé pour filmer un max pour les prochains projets Bears.

On part d'ailleurs avec une partie de l'équipe au Maroc dans quelques jours.

LM : Et bien moi, je m'y suis pris un peu tard, donc c'était mission, mais ça c'est très bien passé ! Puis avec Frej (Yoann), on est pas mal complices, et il sait comment parler et faire avec moi ; et donc, c'est toujours un plaisir que de filmer avec ce G.

"Les vidéos,
c'est important,
je trouve ;
surtout quand
on commence"

DT : Cette part a représenté un bon nombre de missions pour moi, en filmant la quasi-intégralité en parallèle des cours de skate et du passage du CQP skate à Quimper. Je revenais un week-end sur deux avec ma liste de spots et tricks, et la session se passait en général avec Yoann seulement (gros merci à lui). Les quelques clips filmés en session avec les potes, de manière plus spontanée, ont vraiment fait du bien, parce que cette année de skate était vraiment chelou pour moi.


Damien Thebaud, no-comply flip. Ph.: Yoann Cailleteau

LSM : Louis-Marie, quel est ton rapport à la vidéo de skate en général ? Quels sont tes goûts et inspirations, quelles sont tes références principales et comment dirais-tu que tu consommes ce média - par quels moyens, via quelles plate-formes, à quelle fréquence ? Qu'est-ce qui, selon toi, manque éventuellement à certaines vidéos de skate et qu'imagines-tu comme perspective(s) d'avenir pour ce type d'images qui bougent ? Damien, même question avec en prime, l'historique de tes trois meilleurs pantalons...

LM : Alors les vidéos, c'est important, je trouve ; surtout quand on commence. Pour s'inspirer, pour apprendre, pour la motiv' ! Après, maintenant j'en regarde beaucoup moins ; j'en ressens le besoin parfois, mais je ne suis pas trop à tout té-ma.


Louis-Marie Poirel, switch frontside big spin. Ph.: Yoann Cailleteau

J'aime le skate fin tout comme agressif. En vrai, la manière dont je m'habille peut déjà m'inspirer une vibe. Beaucoup de gars m'inspirent en vrai, du Français comme du ricain. J'habitais à Sèvres - juste à côté de Meudon - dans ma jeunesse et on voyait Oscar Candon rouler : ça, c'était une putain de référence. Sinon, des gars comme Taveira, Gillette, Zach Saraceno...

"Continuer de filmer
des images qui
ont du grain"

Je graille clairement ça sur Insta la plupart du temps et sinon, sur l'ordi, s'il y a une grosse vidéo. Et ça va, je n'en suis pas à quatre heures par jour. Genre une heure sûr, et deux heures max le dimanche [rires].

Je ne sais pas ce qui peut manquer, j'avoue... Peut-être de la sincérité, et ne pas faire pour faire, ou faire que des trucs énormes. Mais je ne regarde pas assez de vidéos pour avoir ce recul. Je ne sais pas non plus [rires], mais peut-être plus de vidéos artistiques. Et continuer de filmer des images qui ont du grain. Gestaflex toss toss !

"Une full-length [...]
reflète à mes yeux
une oeuvre [...]
non résumable
simplement aux tricks
qui s'y trouvent"

DT : Moi, j'ai commencé le skate en bouffant dès le début des full-length des années 2000 en VHS, grâce à mes mentors d'une autre génération. J'ai toujours été attiré par les vidéos mêlant de la connerie avec le skate (big up la "4 SANS BRONZE") ; de la créativité, aussi, plus que de la grosse perf'.

N'étant pas intéressé par la culture smartphone, je ne consomme pas de vidéos via des réseaux comme Instagram. Je préfère, en effet, un ensemble représenté par une part ou une full-length, qui reflète à mes yeux une oeuvre en tant que telle, non résumable simplement aux tricks qui s'y trouvent, mais plus un montage, des transitions, une manière de réfléter une ville et une architecture...  Cela ne fait pas trop sens, à mes yeux, de la fragmenter en quelques clips d'une vingtaine de secondes montrant quelques hammers.

Je me tiens par ailleurs assez au courant de ce qui se passe dans le monde de la vidéo de skate, en matant tous les deux, trois jours une bonne heure et demie de vids récentes (ou pas) via YouTube (Vianouzneverdies, Free Skate Mag, Solo Skate Mag…) ou Skatevideosite.


Damien Thebaud, ollie one-foot. Ph.: Yoann Cailleteau

Pour répondre à ta dernière question, peut-être aimerais-je retrouver plus souvent des absurdités (comme les kickers invisibles dans les vidéos Girl, ou des mini-sketches…) dans les vidéos récentes et mainstream. Continuer d'utiliser ce média incroyable de l'Internet mondial pour inspirer et pousser la créativité individuelle avec ce qui n'est rien d'autre qu'un outil de circassien, et ne pas forcément trop en faire un sport avec une hiérarchie communément admise des tricks à faire ou pas.

Ayant récemment choppé un p'tit caméscope, je vais essayer d'incarner les idées présentées plus haut dans une full-length bien débile intitulée "SINGE VIKING V.S. MECAÏMAN - FIGHT FOR THE BRONX" - ça va bouncer ! 

Pour ce qui est de la sape, big up à ma copine couturière Ioulia qui met en forme tous mes caprices vestimentaires les plus fous, héhé !

LSM : Toad, es-tu satisfait de comment ton skate est représenté ? Car ton langage corporel laisse présager une tendance au bon goût ou en tout cas à un certain perfectionnisme, mais pas mal de tes images ont l'air d’avoir été capturées sur le vif, aussi. Retiens-tu certains bons souvenirs des sessions filming en particulier ? Au final, si tu devais citer tes inspirations principales en termes de style, quels skateurs/euses et quelles vidéos évoquerais-tu ?
 
CP : Concernant ma satisfaction, je dirais que suis content d'avoir participé à cette vidéo, et plutôt content de la part, mais pas satisfait - je pense qu'il est possible de faire mieux, avec plus d'investissement. J'ai fait que trois ou quatre sessions filming pour cette vidéo, et c'était sympa !
 

Clément Paistel, kickflip. Ph.: Yoann Cailleteau
 
Il y a pas mal de riders qui m'inspirent - je regarde pas mal de clips sur Insta. J'aime bien Ishod, Jack O'Grady, Kyle Walker, Carlos Ribeiro, Evan Smith, Hugo Maillard... En fait, il ne s'agit pas de skateurs et skateuses, mais juste du beau skate, quoi !

LSM : Nans, peux-tu nous raconter l’histoire de ton dernier trick, le double noseblunt yank-in ? Qu'est-ce que c’est que ce spot, depuis combien de temps pensais-tu à ce trick et comment t'es-tu attelé à sa réalisation ?

NA : Pour mon dernier trick - le double noseblunt tirette - je n'étais pas du tout inspiré par le spot et je voulais faire un truc un peu original, sur le moment. J'ai pas du tout réfléchi - je suis monté là-haut et voilà, quoi !

*

Antoine Couapel
*
 
LSM : Yo Antoine ! Même question que pour les précédents, au sujet du parcours et des influences en termes de skate et de vidéo. Aussi, comment en arrive-t-on à décider d'apprendre backside nollie fakie five-o revert, et d'où t'es venue l’idée de filmer un fakie 360 double flip sur des marches ? Au vu des images, ça fait un bail que tu rosses le 360 flip en général, non ? Que retiens-tu du filming de ta part ?
 
Antoine Couapel : J'ai toujours skaté aux alentours de Rennes, que ce soit dans ma campagne étant plus jeune, puis Rennes-même à partir de l'adolescence. La scène skate est cool ici : tout le monde se connait plus ou moins, et personne ne se prend la tête. Lolo est venu me toucher deux mots lors d'une A.V.P. en bar pour me proposer son soutien via Bears ; peut-être avait-il bu une bière de trop ? En tout cas, influence de l'alcool ou non, c'est trop tard, maintenant ! Et je dois dire que c'est plutôt cool de sa part.
 

"Mon 'last try promis'
que [les filmeurs]
entendent cinquante
fois par jour"

 
Backside nollie fakie five-o revert sur un petit curb comme celui dans la vidéo, si tu sais faire backside 360 nollie en flat, et bien, c'est dans la poche. Le fakie 360 double flip, c'est un peu mon trick fétiche en game of S.K.A.T.E. pour faire lever les yeux en l'air de la personne en face de moi [rires] (surtout Nans). Et pourquoi sur des marches : c'est une mauvaise idée... Peut-être pour mettre à bout le filmeur, cette fois-ci ?
 
Pour ce qui est du filming - à chaque fois que l'on filme pour une vidéo, j'ai l'impression que ça commence par quelques images filmées par-ci par-là, sans réel projet derrière ; ensuite, on évoque le fait de faire une vraie vidéo et, un mois avant la deadline, tout le monde se rend compte qu'il faut se bouger [rires] ! Ce que j'en retiens : que des bons moments, quelques planches cassées et des filmeurs patients avec mon "last try promis" qu'ils entendent cinquante fois par jour.

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Louise Crespin

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LSM : Bonjour Louise, peux-tu te présenter ? D'où es-tu originaire et comment as-tu commencé le skate en particulier ? Au vu de ton compte Instagram, j’ai l’impression que tu as commencé par le surf, ou as-tu toujours pratiqué les deux conjointement ? Finalement, comment as-tu été amenée à fréquenter le crew de Bears ?
 
Louise Crespin : Je m'appelle Louise Crespin, j'ai vingt ans et je suis étudiante en kiné. Je suis originaire de Rennes et j'ai d'abord commencé le surf, avant le skate. Je pratique toujours les deux étroitement.
 

Louise Crespin, frontside boneless. Ph.: Yoann Cailleteau
 
Originaire de Rennes, tous les skateurs se connaissent et j'ai naturellement rencontré le team Bears.
 

"Dans un bowl,
tout le monde passe
un par un
alors qu'à l’eau,
il faut se battre"

LSM : Dirais-tu que ta pratique importante de la courbe est un héritage direct de ton expérience en surf ? Les deux pratiques ont-elles, selon toi, le point commun de traduire certains ressentis similaires et, a contrario, où situerais-tu les principales différences en terme d'expression ? Et, outre les activités en elles-mêmes, quelles sont tes impressions générales à propos des mentalités respectives dans chacun de ces milieux - l'un te paraît-il davantage ouvert que l'autre ?

LC : Oui, le surf et le bowl se rapprochent le plus par rapport au street, notament au niveau des sensations et des mouvements.


Louise Crespin, frontside slash. Ph.: Yoann Cailleteau

Le surf et le skate ont deux mentalités différentes ; je trouve que le skate est beaucoup plus ouvert au niveau des gens comme au niveau de l'accès à la pratique. Dans un bowl, tout le monde passe un par un alors qu'à l'eau, il faut se battre pour prendre une vague.

LSM : A quelles autres activités créatives t'adonnes-tu, et quelle part de ton emploi du temps leur alloues-tu par rapport à ce que tu consacres au skate ? As-tu une idée de ce que tu souhaiterais développer en général ou es-tu principalement concentrée sur ta pratique du skate dans le moment présent, ces temps-ci ?

LC : A part le surf et le skate, je dessine et je peins - de moins en moins avec les études, mais ça pris une place dans mon emploi du temps pendant un long moment. En ce moment, je me consacre surtout au skate, au surf et à mes études - ce qui fait déjà beaucoup.


Louise Crespin, frontside boneless. Ph.: Yoann Cailleteau

 

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Hugo Maillard

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Ph.: Benjamin Deberdt
 
LSM : Salut Hugo ! Déjà, félicitations pour ta part, ta board chez Magenta et tous tes projets en cours. Avant de parler skate, comment ça va, et quid de ton activité musicale ? Tu as sorti un EP de piano, « NI LE MATIN » il y a quelques mois déjà. Depuis quand pratiques-tu cet instrument et comment cette sensibilité s'est-elle découverte ? Décèlerais-tu quelque chose de comparable entre la transe musicale et les joies du skate ? Où situerais-tu les différences ?
 
Hugo Maillard : Salut Aymeric - ça va bien, ça fait un an et demi que je vis sur une friche à la bordure est de Rennes (juste à côté du 126) avec un groupe d'amis - on s'y est installés en cabanes, et puis on s'exerce avec passion à différentes activités paysannes : culture de légumes et fruits, élevage de poules, travail du bois et du fer... C'est un espace qui appartient à la ville et va être "urbanisé" d'ici quelques années ; nous nous sommes imposés pour tenter de lui faire vivre une autre vie avant qu'il soit recouvert de béton bon marché...
 
Depuis la sortie de ce dernier EP, je n'ai presque pas touché au piano (ni trop au skate d'ailleurs) - la fin de l'enregistrement des pistes de l'album coincide presque avec notre arrivée sur la friche. Il est difficile d'imaginer un piano ici : l'isolation thermique est très sommaire et l'instrument s'abimerait trop.
 

"Le moment où
les choses viennent
sans préméditation"

 
Côté historique : j'ai d'abord fait beaucoup de synthé et de musique à l'ordinateur, depuis presque dix ans, en enfilant - parfois maladroitement - toutes les casquettes, de l'écriture à la publication. C'est avec ces essais que je me suis rendu compte que ce qui me plaisait avant tout, c'était le jeu - le fait de pratiquer l'instrument - et les vibrations sonores réelles de l'instrument. Je me suis donc dégotté un premier piano de récup' auprès d'amis, et puis j'ai beaucoup pratiqué sur différents pianos lors de mon passage à Bruxelles.
 
Peut-être que les deux pratiques se rejoignent en effet dans le domaine large de l'improvisation, du laisser-aller ; il y a les temps d'essais, les réussites et la confiance qu'elles procurent et donc la possible spontanéité et la légèreté qui va en découler. Le moment où les choses viennent sans préméditation.
 
LSM : Quel est ton rapport au paysage skate actuel en général ? En termes d’assiduité et de consommation médiatique, où te placerais-tu, si quelque part ? Après toutes ces années sur une board, quels sont les aspects de la pratique et de la culture qui te repoussent et t’excitent encore ?
 
HM : Depuis mon passage de trois ans à Bruxelles à partir de 2016, je me suis beaucoup éloigné du skate. A ce moment-là, l'envie de développer mon activité artistique primait, surtout ; et aussi, la force pour recréer une sphère skate à partir de zéro dans mon entourage me manquait. A mon retour à Rennes en 2019, le fait de retrouver mes amis pratiquants (Louis, Clément, David et tant d'autres) a pas mal contribué à donner un nouveau souffle à la passion, et j'ai à nouveau eu une pratique "régulière".
 

"Il faut quand même
bien dissocier
ces deux mondes :
professionnel et
amateur"

 
Avec ce rapport un peu en dent de scie avec le monde skate, je suis complètement largué face à l'actu, et je ne suis pas du tout assidu ou volontaire à aller chercher des infos - j'ai plutôt une attitude désintéressée, d'ailleurs, par rapport au paysage du skate actuel en général. Pour tout dire, dans une conversation, j'ai de plus en plus de mal à défendre le skate et son monde professionnel, l'abondance de publi-reportage dans les grands médias, la domination des grandes marques et les rapports de force inhumains qu'elles exercent, le "m'as-tu vu", l'utilisation de l'image d'un individu ou d'un groupe au profit commercial d'un sponsor - je trouve que tout ça inhibe beaucoup trop les belles valeurs "originelles" (ou du moins, celles qui ont bercé mes débuts) de l'entraide, du partage et de la force de la communauté skate amateur. Mais il faut quand même bien dissocier ces deux mondes : professionnel et amateur, bien que les frontières soient très floues.
 

Hugo, frontside nollie to switch crooked grind. Ph.: Yoann Cailleteau
 
LSM : Veux-tu bien nous retracer ton parcours dans le skate à Rennes, quand et comment as-tu commencé précisément et quelles ont été tes premières impressions mémorables ? Finalement, qu’est-ce qui t’a amené à t’intégrer au point de devenir l’un des ambassadeurs du skate rennais les plus reconnaissables, et que retiens-tu des épopées respectives « CROSSWALK » et Galerie 126 ?
 
HM : Houlà ! Vaste question !
 
J'ai commencé dans le petit village de Chevaigné, quinze kilomètres au nord de Rennes. Je découvre le skate via la PlayStation et le premier opus de la série des Tony Hawk's Pro Skater qu'avait ramené Paul Eric, fils d'une amie de ma maman ; on y avait joué les volets fermées, lors d'une chaude journée d'été...
 

"L'Arsenal :
un espèce de monde
à part - une école
du skate et
de la vie à ciel
ouvert"

 
Première board cheap achetée chez Leclerc, et c'est parti. Mes parents viennent de s'installer dans une maison située dans une zone artisanale, et il y a un hangar avec béton tout lisse attenant ! J'y suis tout les soirs après l'école, puis le collège - je devais alors avoir dix ans. On construit nos premiers modules avec mon voisin d'en face, Benoît Leray. Lui, il va au collège à Rennes et croise souvent Pacôme Gabrillagues dans le bus ! Pacôme se rend tous les mercredis à l'Arsenal (le fameux spot de la cité judiciaire) ; ce spot attise notre curiosité, nous y allons une première fois et très vite cela devient rituel : mercredis, samedis et dimanches pendant près de sept ans.
 
C'est là-bas que je vais rencontrer ceux qui deviendront, plus tard, mes meilleurs amis. Nous en parlons d'ailleurs assez fréquemment avec Gauthier Chambry de cette fabuleuse énergie qui se déployait là-bas, à l'Arsenal : un espèce de monde à part, sans clivage de génération - une école du skate et de la vie à ciel ouvert, tout le monde se rencontre, s'apprend des choses, discute et rigole... On y passe même nos soirées. C'était un lieu que tout le monde s'appropriait, d'y penser j'en ai les larmes aux yeux.
 
Là-bas, on y fréquente entre autres les gens des skateshops, les pros (Dany et Geoff) et les amis et les vagabonds du skate de passage à Rennes. Tous les teams se filment, montent et montrent leurs vidéos dans des bars à Rennes souvent soutenus par Laurent et Bertrand de Bears, et l'émulation est dingue !
 
Vient ensuite l'époque "CROSSWALK", portée par toutes ces rencontres faites à l'Arsenal ; on voyage pas mal avec l'équipe qui compose la vidéo, en camping sauvage à l'arrache ou à droite, à gauche chez des amis. C'est aussi le moment ou on se met à construire nos propres D.I.Y., influencés par Jo ! Pacôme et Quentin sont dans leurs études respectives (audiovisuel et graphisme), et ce projet commun de vidéo leur assure de passionnants exercices.
 
Pour moi, c'est aussi l'occasion d'essayer de faire une belle part. Cette vidéo est une belle contribution au skate rennais et breton : on y trouve Artur Barros originaire de Dinan, Jeremy Jolivet de Ploërmel... C'est grisant que d'y avoir participé de près.
 
En parallèle, nous bougeons aussi pas mal : on participe au Battle of Normandy, à la Ruée Vers L'Image... C'est le moment des découvertes ! Et puis arrivent d'autres sponsors, dont Burn et la possibilité d'avoir un petit revenu. Il y aussi la vidéo Anagram ! Les premiers trips skate à l'étranger...
 
La Galerie 126 arrive quelques années après tout ça ; c'est aussi une grosse période d'émancipation, de rencontres et d'apprentissage, les possibles sont plus larges, la découverte de plein de vecteurs d'expression personnelle aussi. J'entame mes études aux beaux-arts ; mes rencontres sont, pour la plupart, en dehors du monde du skate, ce qui contribue à m'en éloigner quelque peu - ou du moins à prendre une distance qui va changer ma vision de la pratique et, peut-être, préciser mes envies d'éviter certains écueils.
 

"Je m'épanouis dans le sens
où je me sens libre
et le reste de l'équipe
semble l'accepter"

 
C'est le moment de la "MEGAMIX" ! Chouette détournement de fonds de la part d'Arnaud au profit des scènes locales ! Puis des productions J'dek Prod par Louis Deschamps, et Brothers Video, signées David et Sebastien Riollier ; et, bien sûr, le moment de magie : Tonic ! Cette video résume pas mal l'esprit du moment : le "J'dekboarding", l'effervescence totale ! La vache, c'était il y a cinq ou six ans déjà ! 
 
LSM : A quel point t’épanouis-tu en tant que rider Magenta, désormais adoubé du statut de professionnel qui plus est ? Comment décrirais-tu ta cohésion avec l’énergie du reste du groupe, et sur quels points dirais-tu que vous vous complétez suffisamment pour que tu acceptes de jouer ce rôle pour eux ? A quelle fréquence croises-tu toute l’équipe, quelle énergie retrouves-tu sur les sessions et es-tu excité à l’idée de développer quelque chose avec ces gens en particulier ?
 
HM : Je m'épanouis dans le sens où je me sens libre et le reste de l'équipe semble l'accepter. J'ai été super content d'être soutenu dans ce projet d'EP de piano "NI LE MATIN / NI L'APRES-MIDI" et la part parue l'année dernière, réalisée entièrement avec des amis dans une liberté totale - et je tiens encore à remercier l'équipe d'avoir eu ce "lâcher prise". Peut-être est-ce en cela que nous nous comprenions, et c'est cette idée qui me pousse à imaginer d'autres collaborations.
 

"J'ai aussi fait
mon stage de troisième
chez Bears, où j'ai
beaucoup progressé
au finger skate"

 
Par ailleurs, je ne skate que très peu souvent avec le reste du groupe Magenta, donc il est difficile de décrire une énergie particulière sur les sessions. Cependant, j'ai toujours de bons souvenirs de session avec l'équipe lors de leurs passages à Rennes, ou des visites à Bordeaux et Paris. Il faut dire aussi que vu mes occupations actuelles, l'astreinte que représente la culture de légumes et l'élevage ne facilite pas mes mouvements.
 
LSM : Comment t'es-tu retrouvé à filmer cette part, pour la vidéo Bears ? Les images ont l’air particulièrement spontanées. Quid de ton historique avec le shop, au sens large ?
 
HM : C'est assez drôle car c'est une part que je n'ai pas réellement filmée consciemment ; elle est constituée d'images filmées avec Louis lors du tournage de la part "NI LE MATIN" et d'images d'une session au "flat bar paradise" : spot de flat bar construite avec mon ami Gauthier Chambry, d'où leur aspect spontané !
 
Bears, Laurent, m'aide depuis très longtemps - depuis mes treize ans je pense, lorsque le shop s'appelait encore Bamboo et qu'on se connectait pas mal avec la scène de Le Mans, Angers et Tours où j'ai d'ailleurs rencontré Romain Batard, Jo Dezecot, Alexis Jamet... J'ai aussi fait mon stage de troisième chez lui, où j'ai beaucoup progressé au finger skate. Le shop était aussi un lieu de passage post session, on y rigolait beaucoup en regardant des vidéos.
 
Par ailleurs, il a facilité mon parcours, me présentant à divers représentants à l'époque - Samuel Caillaud, notamment - qui s'occupaient de la diffusion des marques Circa et Cartel - entre autres - dans l'Ouest de la France. Je recevais les colis au shop, et c'est à travers eux que j'ai beaucoup bougé sur des évènements skate en France - les championnats, King of Wood, etc. Ils ont peut-être vu en moi une graine de champion [rires].
 

"J'ai l'impression de
n'avoir jamais été aussi
peu isolé"

 
Depuis, mes relations avec mes sponsors ont évolué et Bears n'est plus trop dans cette position d'intermédiaire ; j'y passe tout de même de temps en temps, pour m'équiper !
 
LSM : Par-delà ton hyperactivité artistique, presque paradoxalement, tu as aussi cette réputation de quelqu’un qui cultiverait la concentration par l’isolation, en quelque sorte. Tu saurais commenter sur cette idée ? Des travaux en cours à évoquer, peut-être ?
 
HM : Je ne pense pas être quelqu'un de solitaire ou d'isolé, j'ai toujours vécu en collectif et aujourd'hui je vis dans un lieu ou il n y a ni porte ni sonnette. Peut-être poses-tu cette question vis à vis de mon rapport et ma disponibilité au skate de manière générale ? En tout cas, notre projet actuel d'occupation, la découverte des métiers et savoir-faire paysans me poussent à développer des relations très ancrées dans le local et le concret - j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi peu isolé !

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