Phil Evans, vous connaissez peut-être son nom du fait de la réputation de ses travaux précédents, dont les excellents documentaires "Format Perspective" ou "Coping Mechanism", quelques expérimentations telles que "Paper Cut London" ou encore - si vous êtes très fort ! - l'excellente "Scrum Tilly Lush", full-length de skate filmée un peu partout en Europe et exclusivement au Super huit. En deux-mille dix-huit, le nouveau coup d'éclat de Phil s'intitule "SAINT DENIS" et il s'agit bien d'un documentaire sur le skateur irlandais Denis Lynn, le frère de Conhuir, pour Carhartt Work In Progress. Avant-première Paris ce vingt-huit mars (toute l'info sur facebook, c'est ici), et entretien croisé avec Phil et le teammate Finlandais de denis, Samu Karvonen, tout de suite, maintenant.
LIVE Skateboard Media : La société actuelle semble adorer cultiver la netteté d'une certaine dichotomie entre 'sain d'esprit' et 'fou à lier', sur un schéma typiquement manichéen, comme si l'humain ne fonctionnait pas en trois dimensions mais que le champ des possibles en la matière de complications mentales se résumait à un choix binaire. Une simplification qui n'est pas sans desservir un modèle capitaliste, selon lequel on se trouve soit suffisamment valide pour entrer dans le moule et y pédaler suffisamment correctement pour faire tourner la machine, soit non, du fait de certains troubles d'ordre physiologiques ou psychologiques, et on se voit alors en quelque sorte disqualifié du système. A force de se pencher sur les chiffres plutôt que sur la personne, soit sur le profit avant l'homme (cf. Noam Chomsky), on se retrouve le nez plongé dans les préjugés dès qu'il est question d'inaptitude sociale - quelconque, d'ailleurs -, eux-mêmes nourris d'angoisses en rapport direct avec la sacro-sainte Productivité. Quels sont vos avis sur la question? Les gens devraient-ils davantage surveiller leurs appréhensions, leurs repères ?
Samu Karvonen : Pour ce qui est de tels préjugés - démontrant, par ailleurs, une absence d'empathie et de compassion réelles - je crois que la plupart des humains sont restés bloqués à fonctionner selon une logique moyenâgeuse (ou sinon, ils ont régressé à ce point-là).
Nous vivons, et relatons une époque à laquelle subsiste la guerre, ici et là dans le monde, des gens tuent leurs voisins sous prétexte qu'ils pensent différemment de la majorité, ou croient en autre chose qu'eux, quand bien même ils croient en quelque chose tout court.
Samu Karvonen, backside nosebluntslide. Ph.: Phil Evans
On est rapide à juger ; on toise la différence, on prend autrui de haut et surtout, on a peur du changement, contre lequel on préfère se braquer, plutôt que de reconnaître le progrès. Nos esprits sont branchés de façon à étiquetter et compartimenter nos souvenirs afin qu'à la moindre sollicitation sensorielle, l'expérience (quelqu'elle soit) qui est en train de se présenter à nous se voie instantanément comparée à une autre, semblable, déjà vécue par le passé ; et c'est ainsi que chaque individu se constitue son panel de réactions type, selon lequel il va répondre à la situation qu'il est en train de vivre en donnant un coup de pied par exemple, ou en disant quelque chose de bien précis, en souriant, ou encore en mangeant. Dans le cas de quelqu'un qui aurait grandi élevé par une mère qui lui aurait inculqué, par exemple, les bienfaits du lait, alors il y a de grandes chances pour que jusqu'à ce qu'il dépasse un certain seuil d'analyse critique, il ne remette jamais en question l'idée que le lait soit bon pour la santé. Et de la même manière, il préfèrera se battre afin de prouver que c'est vraiment le cas, plutôt que de ne serait-ce que considérer que sa mère puisse avoir eu tort.
Au sujet de considérations telles que 'fou' ou 'pas fou' : personne n'a envie de se retrouver qualifié de 'fou', l'imagerie se dégageant de cette appellation étant systématiquement connotée comme négative à un point tel que souvent, elle suffit à nous décourager à nous intéresser du travail d'un artiste, par exemple, sous prétexte que celui-ci avait une personnalité "différente". Du coup, ce faisant, on passe à côté de bien des réalités.
"Il tend, évidemment, à l'autodestruction, au même titre que nombre de bons skateurs"
A force de voyages et d'expériences, j'ai aiguisé mon esprit à la pierre de la curiosité ; j'ai appris à toujours prendre le maximum de recul possible, sur le plan spirituel mais aussi des jugements et des sentiments, dans l'ultime but de mieux comprendre le pourquoi du comment de notre évolution et de nos acquis, afin de pouvoir ensuite les briser. Je passe mes propres croyances, mes propres pensées au tamis. Nous sommes tous différents les uns et des autres, de toutes les façons possibles, donc qui serais-je, moi, pour décréter qui est 'fou' ou non, et délimiter les contours de quique ce soit ? Bien sûr, à chacun ses opinions, mais de temps en temps il est bon de les remettre en question, ne serait-ce que pour réfléchir à quel point ladite opinion est réellemment la tienne, d'ailleurs. Il faut toujours lire le livre en entier et ne pas le juger que sur sa couverture, si on a envie de pouvoir prétendre à une opinion un tant soit peu crédible, en tout cas.
Denis Lynn. Ph.: Samu Karvonen.
Partant de ce principe, oui, j'aurais pu trouver Denis 'fou' la première fois que je l'ai rencontré, par exemple. Sauf que maintenant, à force de le fréquenter, je peux vraiment vous assuré qu'en fait, il est complètement taré [rires]. Je plaisante, c'est une opinion on-ne-peut-plus affectueuse, je le considère comme mon ami.
Phil Evans : Denis, 'fou' ? Je ne suis pas vraiment d'accord, je crois même qu'il a la tête bien sur les épaules et que socialement, il est plus intelligent et flexible que la moyenne ; mais j'imagine que dans un contexte de conformité sociale pure, alors oui, il pourrait être considéré comme différent. Mais c'est aussi parce que la majorité des gens ne tenteraient même pas la moitié des choses que Denis tente.
Il n'a pas peur de prendre des risques et, la plupart du temps, il s'en tire avec panache ; ce sont surtout les situations impliquant une quelconque figure d'autorité qui vont le contrarier.
Il tend, évidemment, à l'autodestruction, mais ni plus ni moins au même titre que nombre de bons skateurs. Je ne crois pas qu'il s'agisse-là d'un quelconque déséquilibre chimique en lui, c'est juste quelqu'un qui se nourrit de l'excitation que lui procure la sensation de repousser les limites - ce à quoi tout devient prétexte.
Denis Lynn. Ph.: Samu Karvonen
LSM : En tant que pratique historiquement alternative, le skate a toujours naturellement attiré les marginaux qui, par définition, ne se reconnaissaient pas dans les entreprises plus traditionnelles. Ca, on en parle quand même assez régulièrement ; autre chose dont on parle moins, par contre, c'est à quel point l'industrie du skate (forte de ses racines indépendantes, en tout cas à l'époque) à un réel pouvoir de légitimer le statut social d'un individu, avec ses faiblesses (occasionnellement maquillées en forces) et quand bien même celui-ci ne se serait jamais présenté au monde ainsi, autrement ; si ce n'était pas dans le skateboard qu'il était tombé, pour finalement arriver à lui extirper une crédibilité sociale, souvent appuyée d'un salaire le faisant passer pour 'fonctionnel'. Certains segments de "SAINT DENIS" couvrent cette réflexion, mais voudriez-vous rebondir là-dessus ?
Samu : Et bien, de nos jours, le skate peut clairement être un hobby qu'il est désormais possible de pratiquer en touriste, tout comme il peut aussi être - depuis peu - un sport Olympique. Et qui plus est, il s'agit d'une activité dans laquelle être "bon" ne requiert pas d'obtenir la moyenne à l'école, ou même d'être particulièrement apte, socialement... Tu n'as besoin que d'une chose : la passion d'en faire, quelque soient les conditions.
"Je trouve que les trottinettes sont les vrais punks, alors que les skateurs sont des dégonflés de vendus"
En tant que sport individuel, il se place parmi les plus accessibles, et la liberté qui s'en dégage attire toutes sortes de profils. C'est une activité qui donne à penser aux gens qu'ils font partie de quelque chose de plus grand - et ce, sans pour autant nécessiter un talent particulier s'il est question d'interagir avec d'autres passionnés.
Cependant, en réalité, tout ce petit univers n'est pas aussi ensoleillé qu'on aime à le représenter, dans le marketing. En fait, le skate et son industrie sont régis par une appréciation silencieuse, mais très stricte, de ce qui est cool et ce qui ne l'est pas. Je trouve ça assez drôle de voir les skateurs actuels cracher sur les gosses en trottinettes, quand bien même ceux-ci sont exactement ce qu'étaient les skateurs à l'époque : des jeunes marginaux incompris, qui persistent entre eux dans leur passion pour un jouet qui roule et qui les amuse, au nez et à la barbe de la société. De nos jours, je trouve que les trottinettes sont les vrais punks, alors que les skateurs sont des déglonflés de vendus.
Phil : Dans le skate, on voit beaucoup de personnages élevés au rang de "légendes", quand bien même il s'agit parfois de situations attristantes à l'occasion desquelles les problèmes de l'intéressé en rapport avec la drogue, par exemple, sont récupérés et utilisés en tant qu'image marketing, histoire de les présenter comme des durs à cuire.
La différence avec Denis, c'est que lui s'en fiche d'être perçu de telle ou telle manière par l'industrie ; "cool" ou pas, il marche au seul rythme de son propre pas. En ce moment, tout ce qui compte pour lui, c'est de voyager et faire du skate, mais il comprend aussi que filmer et shooter des photos font partie du jeu.
"Si tu retires leurs cascades en skate à la plupart des pros, il ne leur reste plus grand chose"
Cependant, avec une telle personnalité, évidemment qu'il persiste à se faire remarquer pour toutes ses expressions drôles et folles, ça se comprend, notamment dans les situations où il est entouré de gens calmes - alors il sera forcément celui qui dénotera, étant bruyant, animé ou bourré, et c'est à ce moment-là que les gens vont sortir leurs téléphones pour le filmer. Mais il y a un autre côté, une autre facette propre à Denis, qui correspond à ce que je voulais exposer avec ce projet.
C'est que si tu fais abstraction de son activité de skateur, tu te retrouves quand même avec un type super intéressant, qui sait s'adapter à tout ce qui se présente à lui sans broncher ; alors que si tu retires leurs cascades en skate à la plupart des pros, il ne leur reste plus grand chose et, vieillissants, nombreux sont ceux qui doivent réinventer leur vie au fur et à mesure que leur capacité physique diminue.
Denis Lynn, lipslide. Ph.: Samu Karvonen
LSM : Qu'est-ce exactement qui rend Denis différent, parmi cet univers d'individus souvent troublés que l'on récupère régulièrement afin de les présenter sur un piédestal de "légende" ? Avec eux, son talent sur un skate fait figure de dénominateur commun, mais finalement, qu'est-ce qui le distingue ? L'Irlande pour origine, peut-être ? C'est moins lucratif que la Californie, tout de suite, non ?
Samu : Concernant non seulement Denis mais également de nombreux autres individus à la position similaire à la sienne, je dirais qu'il s'agit d'une combinaison : celle d'une personnalité intéressante, et de chance.
Dans le skate, ça n'a jamais été les "meilleurs" skateurs (ou les plus tech) qui se sont retrouvés mis en avant. Il est toujours question d'une certaine unicité, et à quel point celle-ci est "marketable" en rapport à ce que fait la personne sur un skate, mais aussi en-dehors, de par son style de vie au quotidien. Denis se trouve avoir suffisamment de passion, de rigueur et de talent sur un skate, en plus d'une personnalité forte, intéressante à documenter.
Et puis après, il ne s'agit plus que de chance. La bonne personne voit tes images, ou tu te retrouves à skater le bon park à la bonne heure et à croiser la bonne équipe, ou tu bois tout simplement une bière avec le bon interlocuteur et boum, quelque chose se passe et tout à coup, l'engrenage du capitalisme tourne en ta faveur. A partir de la main pas forcément évidente qu'il avait reçu, Denis a réussi à jouer une quinte flush.
Quant à ses origines irlandaises, j'imagine que grandir en Irlande ne te prédestine pas spécialement à une grande carrière dans le skate, mais d'un point de vue purement industriel, pour un investisseur, la carte du skateur irlandais qui défonce peut être vue comme quelque chose de vendeur, par rapport à l'Américain moyen qui se contente d'attendre son tour à côté.
Je dois admettre qu'à l'heure où j'écris ces lignes, je n'ai toujours pas vu la version finale du film, donc je n'ai probablement pas tous les éléments pour comprendre l'histoire et la vie de Denis en Irlande.
Ph.: Samu Karvonen
LSM : Les difficultés de Denis me font penser à celles de bien d'autres, en fin de compte : celles de David Martelleur telles qu'immortalisées dans le film de Philippe Petit : « Danger Dave », celles de l'Anglais Paul Alexander ou encore, de façon plus générale, celles d'un bon paquet de skateurs, tous différents, que l'on côtoie tous les jours et qui ne finiront jamais dans aucun documentaire, quand bien même ils existent. Dans cet interview que LIVE a fait de Michael Burnett de Thrasher, en réponse à notre question portant sur un éventuel trait de personnalité que partageraient tous les meilleurs pro skateurs, il a répondu : « Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que beaucoup d'entre eux sont complètement fous. Les gens doivent s'en rendre compte - quantité de ces skateurs sont en fait en pleine lutte contre quelque chose d'autre. C'est comme si, pour trouver chaque nouveau skater incroyable, il fallait fréquenter des gens complètement fous - dans le bon sens du terme, mais c'est comme ça que ça marche quand tu es kid : quand tu es un enfant avec des problèmes, tu trouves souvent le skateboard comme moyen de canaliser tes émotions et ton énergie dans quelque chose d'amusant, qui t'apportera joie, satisfaction et, surtout, occupation ». Diriez-vous que plus ou moins consciemment, la plupart des gens s'investissant de façon très active dans le skate sont en fait en train d'essayer de résoudre leur propre équation personnelle ? Et, croyez-vous qu'au fur et à mesure que le skateboard s'exporte dans la culture de masse (avec l'implication grandissante de multinationales en son sein, son inclusion aux Jeux Olympiques...) et que son image publique se fige en tant que celle d'un sport traditionnel, cette dimension d'abri social, de refuge identitaire pour le pratiquant soit vouée à s'éteindre ?
Phil : Je pense que cet aspect-là demeurera toujours, mais c'est vrai que le skate est devenu tellement énorme et homogénéisé pour la consommation de masse que c'est inévitable qu'il se scinde en deux groupes (pour simplifier abusivement).
J'imagine que tout dépend du contexte au gré duquel une personne est amenée à découvrir le skate. S'il s'agit d'une pratique dans laquelle tes parents te plongent, te poussent, à un endroit donné où le skate est plutôt vu comme un sport, alors tu risques de te développer en tant qu'"athlète" ; mais si tu la rencontres dans un milieu où le skate n'est pas accepté, alors tu dois assumer de prendre le risque de passer pour un paria en pratiquant et, dans un tel contexte, forcément que l'activité va attirer une population de marginaux. Et j'espère que cela perdurera toujours !
Samu : On est tous en train d'essayer de résoudre l'équation de notre propre existence, et le skate constitue une forme possible de méditation afin de réduire un instant au silence le bourdonnement incessant des questions existentielles et autres angoisses parasitant notre esprit, que l'on en soit conscient ou non.
N'importe qui ayant un pote avec une caméra (et un bon oeil) serait susceptible de devenir le sujet d'un tel film, en fait. Encore une fois, il ne s'agit-là que de chance, ou de foi, selon comment on préfère appeler ça.
Je n'ai pas vu "Danger Dave" et il y a aussi "Zombie" (sur Tim Zom) que je veux regarder avant, mais j'imagine que ce que tous ces sujets ont en commun, c'est que - consciemment ou insconsciemment - ils sont en pleine lutte avec les démons de leur histoire afin de progresser vers une vie meilleure ou, en tout cas, différente. Il n y aurait pas grand chose à documenter de la vie de quelqu'un qui réussit tout le temps et qui n'a jamais aucun problème - quand bien même une telle personne existerait seulement.
Pour l'avant-première de "SAINT DENIS" à Paris, c'est ici!
La progression du skate vers un territoire résolument grand public va clairement bouleverser les règles du jeu, mais comme je le disais plus tôt, nos esprits sont programmés, entre autres pour penser que tout "était mieux avant" et que les nouveautés, même les plus brûlantes, ne seront jamais à la hauteur de ce qui existe déjà, de ce qui a été accompli par le passé. Sauf que concrètement, on ne peut pas voyager dans le temps (en tout cas, pas encore), donc tout ce qui nous est donné de composer avec, c'est l'instant présent ; et ça, plein de gens tendent à ne pas s'en rendre compte, ou à l'oublier carrément, pour ensuite persister à vivre dans la misère de leurs regrets d'une part, et de leurs attentes d'autre part...
En tout cas, avec l'implication des multinationales dans le skate, naturellement, celui-ci est amené à se développer dans le sens du plus grand nombre, du plus large public, ce qui va évidemment normaliser l'image du skateur type comme quelqu'un de politiquement correct. Mais là il y a du Ying, il y a aussi du Yang - en l'occurrence, les communautés de skateurs core qui ne se retrouvent vraiment pas dans le mainstream, qui vont persister à entretenir sa pratique brute, bizarre, dangereuse ou tout simplement différente, d'une façon ou d'une autre.
Et ces deux approches sont amenées à constituer des cercles vertueux de liberté, et à fournir un abri à quiconque en ayant besoin d'un. En tout cas, c'est ce que j'espère, et essaie de promouvoir sous couvert de l'idée que le skateboard est pour tout le monde.
"Chacun décide de ce qu'est le skate pour lui [...] Tout ce que ton voisin déclame trouver cool, oublie"
Il n y a pas longtemps, avec mes potes, on s'est amusés à imaginer un avenir de mags de skate qui titreraient "le street est mort", de la même manière qu'ils annonçaient la mort de la vert au début des années 1990 ; pourquoi cela ne pourrait-il pas arriver au street, à son tour, après tout ? Sur le coup, ça semble improbable mais, d'une certaine manière, n'est-ce pas déjà en train de se tramer, avec la culture de masse qui s'évertue à résumer le skate aux skateparks (les J.O. n'aidant pas), et les kids qui grandissent en regardant, puis en produisant à leur tour, des clips de skatepark en masse sur Instagram ? On risque bien d'en arriver à un stade où le street deviendrait alors si marginal qu'il ne serait plus rentable pour les médias de se concentrer dessus, le poussant encore plus loin dans ses retranchements, en conséquence... Il ne restera alors plus que les vrais skateurs "core", pour continuer à filmer et skater dans des ruelles crado, renouant alors avec leur réputation originelle de vrais marginaux…
En tout cas, chacun décide de ce qu'est le skate pour lui. Pas les J.O., pas même vos grands-parents... Donc, tout ce que le voisin déclame trouver cool, oublie. C'est là que se trouve la véritable liberté dans le skate.
LSM : Pour finir - un mot-clef sous lequel on pourrait peut-être rassembler tous les skateurs de longue date, ne serait-ce pas "motivation" ? Considérez-vous qu'en fait, ce même trait puisse être étendu à quiconque consacrant la quasi-totalité de son existence à une certaine activité, sport ou art ; et quel degré de 'folie' attribueriez-vous à un tel choix de vie ? Et là encore, s'agit-il seulement d'un choix, d'ailleurs ?
Samu : Je vois la même motivation transpirer dans bien des activités : la musique, les arts, d'autres sports...
Si tu analyses vraiment le phénomène, il est probablement moins magique qu'il n'y paraît de prime abord. C'est surtout une question de facteurs psychologiques qui s'assemblent de façon à entretenir un certain lien avec une seule activité pendant un certain temps.
Phil Evans. Ph.: Samu Karvonen
Ensuite, s'agit-il d'un choix ? Et bien, j'imagine que d'essayer de monter sur un skate pour la première fois, c'en est un (en tout cas, j'espère !). Mais ensuite, quid d'une éventuelle décision de continuer à pratiquer pour le restant de sa vie ?
Si on regarde les chiffres, combien de personnes ont "fait du skate" une fois ou deux mais n'ont jamais vraiment été happés ? Au hasard, sûrement un million de plus que ceux qui ont continué, après.
Je pense qu'on ne choisit pas de skater à vie, mais qu'on décide d'aller skater à chaque session ; de la même manière qu'on se décide à recommencer son trick après une série de slams, un peu... Et puis, si tu as grandi avec le skate, que tu as basé dessus toute ta vie, ton cercle d'amis et tes relations sociales, alors tu ne peux sûrement pas t'empêcher de retrouver tes confrères de slappy de temps en temps et quoique tu dises en penser, tu es sûrement abonné à Thrasher sur Instagram. Une fois un certain parcours tracé, le skate fait partie de toi.
"Ce qui réunit réellement les skateurs à long terme, c'est la manière dont ils découvrent le skate, et ce que cela signifie pour eux"
Et tu continues aussi parce que c'est amusant, difficile, social car tous tes potes en font aussi, libre car tu peux en faire quand tu veux et comme tu veux ; illimité car on en parvient jamais à la fin, et les possibilités sont quasi infinies. C'est comme de jouer du saxophone, sauf que le skate a l'air plus cool lorsque tu es kid.
Phil : Ce qui est différent avec le skate, c'est qu'il faut apprendre à composer avec tous les gens qui ne veulent pas que tu en fasses, au quotidien - en street, en tout cas ; cela te pousse à développer de nouvelles aptitudes sociales, mais aussi de nouveaux questionnements, notamment en rapport à l'autorité.
A part ce point-là, je ne crois pas que le skate se démarque d'une quelconque autre activité ; la motivation se retrouve dans n'importe quel autre sport, art, entreprise... Vraiment n'importe où.
Ce qui réunit réellement les skateurs à long terme, c'est la manière dont ils découvrent le skate, et ce que cela signifie pour eux. Si tu découvres le skate alors que tu es jeune et qu'au fil du temps, il continue à fonctionner pour toi comme un vecteur d'identité efficace - représentant une source d'amusement, d'épanouissement, d'interaction sociale, de voyages - alors tu vas forcément continuer à en faire, longtemps.