Meeting… Chris Thiessen!
interview: Aymeric Nocus
portrait: Benjamin Deberdt
SANS ALLER JUSQU'à PARLER de "Règles", le skate a toujours aimé choyer ses "codes": ses institutions culturelles toutes propres, à l'origine amenées par ses adeptes les plus avant-gardistes et les plus créatifs, pour ensuite être reprises et chéries dans la durée par ceux d'entre nous se trouvant le plus à même d'apprécier ces contributions au tronc commun de notre pratique de choix. en l'occurrence, les vidéos transworld, à la parution annuelle depuis bientôt trente ans (déjà!), s'avèrent justement marquer leurs époques respectives de façon inconditionnelle; objets d'une forme de culte populaire, plus ou moins unanimement acclamées, et toujours attendues au tournant, les dernières en date (notamment "Substance" et "riddles in mathematics") ont été marquées par la touche du filmeur et réalisateur chris thiessen, un véritable bisounours d'atlanta qui a été gentil-tout-plein au point de s'asseoir avec nous quelque temps afin de discuter de son parcours, ses influences, ses relations avec transworld, ses choix éditoriaux et bien d'autres choses encore... merci, Chris!
LIVE Skateboard Media: Quand as-tu commencé à filmer et à faire des vidéos? La plupart des gens ayant déjà entendu parler de toi te connaissent sûrement de par ton travail sur la vidéo TransWorld précédente, Substance, ou sur les vidéos du collectif Threads Idea Vacuum. Peux-tu nous résumer ton background dans le filming, et comment tu en es arrivé à te placer en tant que contributeur dans la chronologie si respectée des full-lengths TransWorld?
Chris Thiessen: J'ai commencé à filmer et à faire des vidéos en 2006. J'avais des amis qui filmaient et travaillaient sur des projets, et ça m'a mis la puce à l'oreille quant à l'idée de m'y essayer moi aussi. J'ai fait trois vidéos indépendantes à Atlanta entre 2006 et 2009 - la deuxième s'intitulant Meanwhile [aucun rapport avec la "Meanwhile" de Yoan Taillandier / Minuit, NDLR], c'est d'ailleurs elle qui m'a amenée à TransWorld.
Chris Ray et Jon Holland étaient de passage à Atlanta lors d'un trip filming pour TransWorld - justement - et je leur ai servi de guide pour les spots, j'ai aussi filmé des seconds angles. J'ai donné à Chris une copie de Meanwhile, il l'a bien aimée et environ un mois plus tard il m'a appelé pour me demander si je serais éventuellement intéressé par l'idée de travailler avec TransWorld et de déménager un peu plus à l'ouest d'Atlanta.
J'étais en pause au travail, je bossais pour la poste à l'époque, j'avais un itinéraire à suivre et je livrais des colis. On est restés en contact à ce sujet, et j'ai déménagé 6 mois plus tard, pour la Californie, suite à quoi j'ai terminé ma troisième vidéo indépendante: Hellawood.
Il s'agit toujours là du projet auquel j'ai contribué qui me tient le plus à coeur. J'ai passé tellement de bons moments avec mes amis d'Atlanta à l'époque où on filmait pour ce truc.
Pendant quelques années, j'ai principalement travaillé sur des projets web pour TransWorld. C'était à l'époque où ils viraient "tout HD", ce qui m'a conduit à utiliser quelque peu la Panasonic. Ensuite, Chris Ray et TransWorld ont splitté, chacun prenant son propre chemin, ce qui m'a permis de prendre sa place et de commencer à travailler sur les vidéos avec Jon Holland.
La première vidéo sur laquelle j'ai aidé Jon sur le filming a été Perpetual Motion. C'était une expérience incroyable que de travailler avec Jon. Il est génial et partir en trip avec lui et Skin [Phillips] était super. Cela me donnait l'impression de vivre les trips TransWorld tels que je me les imaginais plus jeune, lorsque je regardais leurs vidéos. On se collait des missions nocturnes jusqu'à la deadline pour chaque vidéo - j'avais toujours entendu parler de la façon de travailler de Jon, qui restait éveillé plusieurs jours d'affilée à peaufiner le montage de chaque opus et ce, jusqu'à la dernière minute avant l'avant-première de chaque film. M'être donné de vivre cette expérience avec lui, c'était surréaliste! On restait toute la nuit éveillés, dans les bureaux TransWorld...
Cela m'a également permis de partir en trip avec Dave Chami et Oliver Barton à cette époque, ce qui nous a rapprochés. La deuxième full-length sur laquelle j'ai travaillé pour TransWorld a été Outliers - celle-ci, j'y ai contribué de façon plus déterminante, avec Oliver Barton qui, à cette époque, était le directeur photo et vidéo de TransWorld et, de ce fait, jouait un rôle considérable dans la supervision de l'avancée de la vidéo. On a donc passé pas mal de temps ensemble, on est également souvent partis en trip, ainsi qu'avec [Mike] O'Meally - on a vécu des aventures épiques.
C'est précisément à ce moment-là que tous mes jours passés à Atlanta, à filmer mes potes à la VX, ont commencé à me manquer.
Matt Creasy a alors déménagé à son tour - en Californie lui aussi, il s'est rapproché de moi juste au moment où on était en train de terminer Outliers. On a commencé à beaucoup skater ensemble, et ainsi est venue l'idée de travailler sur un projet vidéo conjoint. Il était clairement de mise de travailler à la VX... Ce qui a résulté en la vidéo Threads Headcleaner.
Pour Headcleaner, Creasy et moi filmions à Long Beach, tandis qu'Alex Rose filmait à Chattanooga et Bryan Reynolds s'occupait d'Atlanta. Cette expérience était très excitante - c'était chouette de travailler avec tous ces gens, tout comme c'était très inspirant de filmer chacun de son côté pour ensuite s'envoyer les uns aux autres les footages que l'on glanait, respectivement.
Juste après Headcleaner, il était temps de commencer à travailler sur la prochaine vidéo TransWorld. Je n'avais pas envie de reposer la VX, du coup, j'ai choisi de l'utiliser pour le filming de Substance, pendant lequel j'ai d'ailleurs eu la chance de pas mal trainer avec Dave Chami et Cameron Strand.
Et après "Substance", j'ai vraiment ressenti l'envie de continuer à filmer à la VX pour TransWorld - en tout cas, tant qu'il m'en était donné l'opportunité.
"La notion d'énigme renvoie à l'expérience que vivent ensemble le filmeur et le skateur, lorsque ceux-ci trouvent un spot, et doivent trouver la meilleure façon [...] de le complimenter. Ensuite, ils doivent s'accorder pour finalement produire un clip digne de ce nom, c'est comme résoudre une équation"
LSM: Comment as-tu trouvé ce nom, Riddles in Mathematics? En cliquant sur le hashtag Instagram, la toute première image jamais postée qui apparaît dans la recherche correspond à la couverture d'un livre qui porte le même titre. D'ailleurs, l'édition dudit livre chez Pelican Books semble avoir été reprise dans l'artwork du DVD, et l'imagerie de la vidéo.
Chris Thiessen: Oui, le titre provient exactement de ce bouquin de chez Pelican Books. Ce titre m'a toujours fait penser au skate. Alors qu'on recherchait des idées pour le nom de la vidéo, je me suis retrouvé à parcourir un lot de Pelican Books, je suis retombé sur celui-là, et j'ai trouvé que son titre pouvait justement correspondre.
Ensuite, on a commencé à parler direction artistique pour la vidéo, et avec Keegan (le directeur artistique de TransWorld), on s'est dit que ce serait cool de rendre hommage à ce bouquin, puisqu'il en avait inspiré le titre.
Riddles In Mathematics, soit "énigmes mathématiques" en Français - la notion d'énigme renvoyant à l'expérience que vivent ensemble le filmeur et le skateur, lorsque ceux-ci trouvent un spot, et doivent trouver la meilleure façon, pour l'un, de le skater, et pour l'autre, d'y filmer, afin de le complimenter. Ensuite, ils doivent s'accorder pour finalement produire un clip digne de ce nom, c'est comme résoudre une équation. J'adore ce feeling. Après, la notion de mathématique, ça fait référence au skate en général.
LSM: Comment t'es-tu retrouvé à travailler avec les skateurs finalement présents dans la vidéo, en particulier? Le line-up de la vidéo semble inclure un paquet des noms les plus recherchés, dans le "skate underground" moderne. Un genre de roster de streeteux all-star. Quel degré de liberté avais-tu dans l'élaboration du projet? Es-tu satisfait de comment tu as finalement réussi à documenter et présenter le style de chacun desdits skateurs dans leurs video parts respectives?
Et par rapport à Substance, comment la transition s'est-elle opérée? As-tu essayé d'approcher certains aspects différemment?
Chris Thiessen: Jaime [Owens] a toujours chouettement géré le fait de m'accorder la liberté d'amener les vidéos TransWorld dans le sens de la direction que les skateurs y figurant et moi souhaitions leur donner.
Pour Riddles in Mathematics, je voulais faire une vidéo représentant une grande variété de styles de skate, et d'approches - tout en faisant en sorte que le skate de chacun complémente celui des autres, et que les uns et les autres se mettent mutuellement en valeur d'une façon qui contribuerait au flow de la vidéo.
J'avais également en tête de rassembler des gens d'un peu partout, afin qu'il y ait une grande variété dans la palette de spots et d'esthétiques.
Ben Gore, nollie heelflip à Bordeaux. ph: Aymeric Nocus
Tout s'est naturellement mis en place au cours des premiers mois de filming. J'ai spontanément croisé certains des skateurs, je filmais avec eux et au final, ils se sont retrouvés impliqués. Concernant d'autres, c'est moi qui les ai contacté, pour voir s'ils étaient intéressés. Par exemple, avec Léo [Valls], on s'est capté par e-mail.
En tout cas, ces expériences ont toutes été incroyables, vraiment. Je suis un grand fan du style de skate de tous les skateurs impliqués dans ce projet, du coup, c'était plutôt sauvage que de tous les rassembler au sein d'un même projet, et de les voir skater ensemble. Ils ont chacun leurs approches respectives, et être témoin de leur application à tant de villes et spots différents, c'était trop bien.
"Faire quelque chose d'un peu plus personnel [...] en impliquant les skaters à fond dans le projet, cela rend davantage hommage à la légende de l'institution TransWorld que de produire un copier-coller de ce qui est déjà populaire."
Je suis vraiment satisfait du résultat final. Je les ai juste documentés, en train de faire leur truc, pendant le laps de temps qui nous était imparti - une démarche que je vise précisément, à chaque fois. Je pense que leurs parts respectives représentent correctement leur façon de skater, c'est le principal. En tout cas c'était quelque chose d'épique à vivre!
LSM: Penses-tu qu'une partie du public TransWorld se trouvera pris au dépourvu par certains aspects de la vidéo, de par sa présentation? Et quid du public de Threads - ou même des gens d'ores et déjà familiers avec ton travail en général?
En tant que réalisateur de Riddles in Mathematics, que ressens-tu vis à vis des attentes que les gens sont en droit d'avoir, étant donné la notoriété historique des vidéos TransWorld, dont Riddles In Mathematics constitue un nouvel opus?
Chris Thiessen: J'imagine que tous ceux qui n'ont pas vu Substance et, par extension, ceux n'ont pas suivi que TransWorld était revenu à la VX, vont être un peu décontenancés. Ceci dit, je ne me préoccupe pas trop de cet aspect-là; j'avoue qu'une fois un tel projet lancé, on se perd rapidement dans sa propre petite bulle, et on oublie facilement ce que le reste du monde du skate se trouve être en train de produire simultanément.
Ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose: pendant une brève période, tu te retrouves alors à évoluer dans le seul cadre des skaters avec lesquels tu es en train de travailler, ce qui te permet de te concentrer sur ta propre vision... Réaliser les vidéos TransWorld, c'est une opportunité tellement incroyable que d'en faire quelque chose d'un peu plus personnel que ce qui peut se faire traditionnellement, en impliquant les skaters à fond dans le projet, et en poussant le truc à fond, cela rend davantage hommage à la légende de l'institution TransWorld que de produire un copier-coller de ce qui est déjà populaire.
Ben Gore, wallrides à Bordeaux. ph: Aymeric Nocus
LSM: Pour conclure, au sein de la chronologie des full-lengths TransWorld, de quelle place penses-tu que Riddles in Mathematics héritera? Les vidéos TransWorld sont connues pour être capitales, et figurer dans l'histoire parmi les plus importantes (et les mieux réalisées) jamais faites; mais également pour leur déviance occasionnelle, dans le sens où, parfois, elles semblent aimer constituer une forme d'entorse à la règle de ce qui se fait habituellement dans la vidéo de skate, tout en faisant toujours primer la qualité de la réalisation. Elles ont été parmi les premières à adopter la HD, par exemple, alors que tout le monde filmait encore à la VX à l'époque... Le style TransWorld semble perpétuellement remis en question sur la forme, tout en restant toujours hyper chiadé sur le fond.
Quant à ce retour à la VX évoqué précédemment, il semblerait qu'il aille de pair avec une certaine ligne éditoriale davantage "indie" que TransWorld semble vouloir adopter depuis quelques années, qu'il s'agisse des vidéos comme du contenu en général. Qu'en penses-tu? S'agit-il là d'une forme de retour à la source? Comment te sens-tu, en tant que principal acteur dans tout ça?
Enfin, affectionnes-tu tout particulièrement une certaine "ère de vidéos TransWorld", parmi toutes celles que leur chronologie a connu?
Chris Thiessen: Je suis vraiment très honoré que Riddles In Mathematics figure parmi la chronologie des vidéos TransWorld. J'ai grandi avec toutes leurs vidéos, du coup, c'est évidemment un sentiment incroyable.
Mon "ère de vidéos TransWorld" préférée? La période charnière fin des années 1990 / début des années 2000, comprenant les vidéos à partir de The Sixth Sense jusque Free Your Mind. Il se trouve juste que c'est précisément pendant ces années-là que le skate a complètement annexé tout ce que j'avais d'autre dans la vie.
Ceci dit, je crois que ma vidéo TransWorld préférée est Modus Operandi. Au fil des années, mes goûts ont évolué, mais je crois que celle-là est bel et bien ma toute préférée. A l'époque, Ty cuttait les clips de manière ultra-rapide, tout en considérant la subtilité des musiques choisies. La section de Mike Carroll est sûrement l'une des video parts les mieux montées jamais réalisées, aussi. Un chef d'oeuvre.
Je suis super content de voir que TransWorld est devenu un vecteur d'expression pour toutes les formes de skate. Le skate, en soi, est un vecteur d'expression personnelle, et c'est justement lorsque le skate est personnel que je le trouve le plus intéressant.
LSM: Merci beaucoup, Chris!
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