Le cas Felipe Oliveira est l'un de ceux dont LIVE suit l'évolution depuis moult années déjà ; un style post-moderne façonné par un esprit résolument libre,
des apparitions plus ou moins locales par dizaines au gré des années, un compte Instagram en constante ébullition et, désormais, un projet de son propre chef : WorldXit, véritablement l'extension directe de sa créativité et de son approche du quotidien via productions textiles et autres. Car, en l'occurrence, c'est une réalisation audiovisuelle que Felipe nous offre sous peu avec une toute nouvelle "web part" (comme disent les jeunes), montée par ses soins : "WORLDXIT PART 3", recueil d'images contribuées par le vidéaste Converse Brésil Guilherme Guimarães puis réinterprétées par le skateur lui-même, en ligne dès demain sur LIVE. Pour patienter, en plus d'un rappel direct de ses dernières prestations skateboardistiques en date, voici les réponses aux quelques questions qu'il allait, bien évidemment, de soi de poser à un Felipe toujours rayonnant d'enthousiasme quand il s'agit de s'exprimer - si ce n'est d'une certaine urgence.
Ph.: Allan Carvalho
LIVE Skateboard Media : OK, Felipe ! Pour commencer, saurais-tu nous raconter ce qu'est WorldXit ?
Felipe Oliveira : En gros, WorldXit est un projet dans lequel je canalise mes idées et mon expérience dans le domaine de l'art, du design et de la "mode". Mon grand frère est l'un des meilleurs designers que je connaisse et, depuis que je suis bambin, j'ai passé du temps à l'observer travailler sur son ordinateur, à toute une variété de tâches. Cet apprentissage indirect a influencé mon propre art, et l'amalgamme de tout ça forme WorldXit - qui peut aussi être vu comme une marque basée sur le surcyclage de vêtements d'occasion et de fripes.
"Il me faudrait
plusieurs interviews
pour expliquer ce que
Salvador représente
pour moi"
LIVE Skateboard Media : Tu proviens de Salvador de Bahia. Saurais-tu décrire l'endroit à nos lecteurs ? Ils connaissent probablement São Paulo et Rio de Janeiro, au moins via les vidéos de skate, mais qu'est-ce qui fait la différence avec chez toi ?
Felipe Oliveira : En fait, en ce moment, je n'habite plus à Salvador. J'ai déménagé à São Paulo pour me rapprocher de Converse, pour filmer avec Gui Guimarães et pour me concentrer sur, et m'investir dans WorldXit. Mais honnêtement, je préfèrerais faire tout ça depuis chez moi [rires] ! Il me faudrait plusieurs interviews pour expliquer ce que Salvador représente pour moi... Récemment, j'ai beaucoup appris sur l'histoire du Brésil, et il faut savoir que Salvador en a été la première capitale. Donc, à mes yeux, si on parle du Brésil, alors il faut parler de Salvador puisque c'est là que tout a commencé. Beaucoup d'élans révolutionnaires proviennent de là-bas, mais les journaux n'en parlent pas, tu vois ?
Ph.: Allan Carvalho
Et au final, Salvador n'a que peu d'influence sur quoique ce soit, de nos jours - en matière de skate, de musique, d'art - et pour moi, ce n'est pas juste. Les éléments ne sont pas en place comme ils devraient l'être. Néanmoins, je continuerai de me battre et de placer ma ville sur la carte, et d'y amener mes amis pour skater sur place et qu'ils voient de quoi je parle de leurs propres yeux.
"J'ai toujours à l'esprit
l'impact que ce genre
de nouvelles peut avoir
sur une famille
de mon quartier
d'origine"
LIVE Skateboard Media : Comment as-tu été exposé au skate pour la première fois ?
Felipe Oliveira : Mon grand frère faisait du skate avant et, pendant un temps, je venais avec lui sur les sessions. J'avais genre six ans. Et puis ma famille et moi avons déménagé de notre ancien quartier et mon frère a arrêté le skate, mais j'ai continué à en faire, moi, pour me déplacer dans la zone. Je ne savais pas faire de ollie, donc je poussais juste. Juste après ça, je suis tombé dans la capoeira pendant trois ans et, pendant l'une de nos présentations, j'ai vu des types en train de faire du skate dans la rue. Donc je suis allé chercher ma board, je suis allé skater avec eux et la suite, la voilà !
"C'est dingue de
constater les similitudes
entre les deux activités,
surtout concernant
l'utilisation des
espaces publics"
LIVE Skateboard Media : Le parallèle avec la capoeira est intéressant ; en distinguais-tu, déjà à l'époque, entre cet art et celui du skate ? Ou peut-être est-ce le cas maintenant, avec le recul ?
Felipe Oliveira : Oui. Aujourd'hui je peux voir ce parallèle, mais quand tu es gamin tu vis au jour le jour et ce n'est que plus tard que (peut-être) tu comprends. En fait, j'ai fait beaucoup de recherches sur la capoeira récemment et c'est plutôt dingue de constater les similitudes entre les deux activités, surtout concernant l'utilisation des espaces publics et tous les thèmes sociaux et politiques sous-jacents.
Ph.: Allan Carvalho
Selon la loi, la capoeira a été interdite au Brésil pendant presque cinquante ans ! Et dans la fin des années quatre-vingt, faire du skate à São Paulo était également interdit. Pour moi, c'est l'un des traits d'union principaux. C'est vraiment intéressant que de chercher à comprendre ce qu'a pu endurer un capoeirista pendant l'époque coloniale pour se représenter ce qu'on ressent tous ici de nos jours, avec tout ce bazar dans notre politique nationale.
"La fureur de vivre
jeune au Brésil et
aveugle à la
véritable histoire de
mon propre pays"
LIVE Skateboard Media : On pourrait aussi s'imaginer que les deux pratiques sont basées sur le langage corporel au sein d'un espace ouvert. Irais-tu jusqu'à dire que la capoeira a influencé ton skate ?
Felipe Oliveira : Oui, c'est quelque chose qui m'a beaucoup influencé, surtout lorsqu'il s'agissait d'apprendre à tomber [rires]. Rien qu'aujourd'hui, je me suis rendu compte que mon style vestimentaire de prédilection est toujours celui qui est utilisé pour la capoeira de angola, qui est l'un des styles sur lequel la capoeira brésilienne a été fondée.
" J'aime tous
les types de skate
et plein de gens
mais, ces temps-ci,
j'essaie de tracer
ma propre route"
LIVE Skateboard Media : Tu as une approche différente du skate, ponctuée d'influences d'époques toutes différentes les unes des autres. Je me posais la question des skateurs qui te branchaient le plus, ces temps-ci ?
Felipe Oliveira : Alors, j'ai toujours aimé simplement skater et essayer des choses que je ne savais pas faire ; me défier, en quelque sorte et j'ai aussi toujours voulu essayer de nouvelles choses qui échapperaient au chemin traditionnel. Je me dois de connaître les bases de tout, évidemment, mais tout compte fait c'est une expérimentation, ni plus ni moins. J'aime tous les types de skate et je suis influencé par plein de gens mais, ces temps-ci en tout cas, j'essaie de tracer ma propre route.
LIVE Skateboard Media : Peux-tu décrire la situation actuelle, au Brésil ? A quel point affecte-t-elle la vie autour de toi ?
Felipe Oliveira : Merci pour cette question. Comme je l'ai dit précédemment, je viens d'un quartier pauvre de Salvador et donc, en ce qui me concerne, j'ai l'impression d'avoir déjà atteint un certain but, au vu de mon origine. C'était vraiment la guerre là-bas et tout s'est mis en place "à la dure", disons. Néanmoins, je trouve qu'il persiste ici une persécution explicite des classes défavorisées, des homosexuels, des transsexuels et des minorités en général, personnifiée par ce type qui se trouve être le président du Brésil en ce moment et qui corrompt les masses vers le côté obscur.
Pour ceux qui ne sauraient pas, Salvador est l'endroit avec la plus grande population noire après l'Afrique ; donc, imagine à quel point ce gouvernement affecte ma ville, et puis le reste de mon pays ? L'année dernière, un client noir a été tabassé à mort dans un supermarché réputé, la veille du Black Consciousness Day qui se déroule le 20 novembre au Brésil.
Ph.: Allan Carvalho
Donc, j'ai toujours à l'esprit l'impact que ce genre de nouvelles peut avoir sur une famille de mon quartier d'origine. Il sera probablement toujours plus fort que sur une famille riche à São Paulo…
"Je suis comblé que
les jeunes du ghetto
aient désormais
l'information
à portée de main
grâce à cet outil"
LIVE Skateboard Media : Au final, au coeur d'une époque et d'un contexte politique si troubles, où dirais-tu que le message du skate ce place ? En tant qu'activité fédératrice, qui regroupe les gens, peut-il être utilisé comme outil social afin de donner du pouvoir aux individus et aux collectifs ?
Felipe Oliveira : Aujourd'hui, s'intégrer quelque part, où que ce soit, c'est plus facile que jamais avec Internet. Je suis vraiment comblé que les jeunes du ghetto aient désormais l'information à portée de main grâce à cet outil. Se connecter et se faire accepter, c'était beaucoup plus difficile en 2006 [rires], ne serait-ce qu'en termes d'accès brut à la communication. Et je crois aussi que le skate est la meilleure façon de voyager à travers les différentes couches sociales ; de nos jours, c'est possible de faire péter quelques bulles, ce qui serait carrément inaccessible si Internet n'existait pas. Le souci est qu'au Brésil, le gouvernement n'octroie aucune aide aux étudiants ou à l'éducation en général ; il y a zéro investissement. Quand j'étais enfant, je devais marcher quarante minutes pour me rendre à l'école et, parfois, y entendre des choses avec lesquelles je ne me trouvais pas d'accord. Donc...
LIVE Skateboard Media : Et donc, pour conclure, quel sens donnerais-tu à l'art dans une situation si chaotique ?
Felipe Oliveira : La fureur ! La fureur de vivre jeune au Brésil et aveugle à la véritable histoire de mon propre pays. Le Brésil n'a jamais été découvert, il a toujours été là. Pour moi, ce n'est pas qu'une question de rage, mais vraiment de fureur avec une force extrême, explosive. C'est à ce carburant que je tourne.
LIVE Skateboard Media : Merci beaucoup pour ton temps, Felipe ! A demain pour la diffusion de "WORLDXIT PART 3", sur LIVE !
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