PREMIERE / Danny Fuenzalida / GREY AREA "Neverwhere" / Kuba Kaczmarczyk / INTERVIEW
LIVE Skateboard Media : Kuba, peux-tu te présenter aux lecteurs ? Qu'est-ce que Grey Area, où êtes-vous basés et depuis quand opérez-vous ?
Kuba Kaczmarczyk : Salut, je suis Kuba, j'ai quarante-deux ans et je filme du skate depuis vingt ans.
"Au départ, mon but était de placer la Pologne sur la carte du skate"
Je suis le filmeur mais toutes les animations parsemant les vidéos sont l'oeuvre de mon pote Pawel. Avec lui, on a fait quelques full-lengths en binôme.
Ph.: Kuba Baczkowski / Barrier Skate Mag
"Grey Area" est le titre de notre dernier projet ; "zone grise", cela représente également notre habitat, c'est une manière de décrire l'esthétique mais aussi l'ambiance de notre pays (enfin, pour ce qu'il en était jusque récemment, car il a beaucoup changé ces cinq dernières années).
Chris Jones, boardslide. Ph.: Modest Mysliwski
C'est aussi une référence aux spots que skate notre crew. Pendant des années, on avait guère d'options : soit on se cantonnait à l'une des quelques plazas en marbre qu'on a ici, soit on partait à la recherche de spots différents, mais bien plus rugueux et durs à skater. C'était manichéen : noir et blanc, sans zone grise. On a fini par jeter notre dévolu sur l'option numéro deux, basée sur l'exploration des recoins obscurs de la ville pour progresser, et on a ainsi créé notre propre zone grise.
Danny Fuenzalida, pole jam to backside smith grind. Ph.: Matt Roy
LSM : Cela faisait combien de temps depuis la sortie de la première vidéo Grey Area ? Si mes souvenirs sont bons, c'était en 2013 ? Comment s'est organisé le filming, pour chacun de ces opus ?
L'initiative de filmer, ça vient de toi ? C'est quand même un hobby chronophage, épuisant et onéreux, surtout si on persiste dedans au fil des ans.
D'ailleurs, la scène en Pologne, à quoi ressemble-t-elle ? Tes vidéos font réfléchir quant aux talents et spots incroyables qui existent, mais demeurent dans une relative obscurité simplement car c'est l'industrie grand public qui décide de ce qui est vendeur. Comment t'es-tu connecté avec chacun ?
Kuba : "Grey Area" est sortie en octobre 2012, donc ça faisait six longues années. Les deux fois, le processus était le même ; dans la continuité de ma vidéo précédente, je continue à filmer et à accumuler les clips, sans direction particulière au cours des premiers mois.
"Pourquoi le format full-length ? Parce que je suis old school"
Tout ce qui m'importe, c'est que le skate remplisse mon critère d'appréciation, question choix de trick et de spot. Je suis assez chiant là-dessus, et je filme assez souvent avec les mêmes personnes.
Tomek Ziolkowski, pole jam. Ph.: Marcel Veldman
Et puis à chaque fois, au cours du filming, certains éléments évoluent, par exemple quand on recrute des nouveaux dans le crew, ou quand certains mettent le skate de côté le temps de s'occuper autrement. Du coup, d'une vidéo à l'autre, certains des acteurs changent. Je me fais des brouillons de timeline très fréquemment, j'expérimente avec différents scenarii. Les idées persistent à s'abattre telles un genre de déluge tout au long du processus créatif.
"On skate les rues et on explore à la recherche de spots comme il se doit :
au feeling, naturellement"
Pourquoi le format full-length ? Parce que je suis old school, et que c'est celui qui m'est familier, j'ai une affinité avec. J'apprécie les retours des gens, mais c'est principalement pour moi que je fais tout ça, et donc je me dois d'être satisfait intégralement du produit final de mon travail.
Au départ, mon but était de placer la Pologne sur la carte du skate ; ou en tout cas, au moins de montrer qu'il se passait des trucs cools dans mon pays. Notre scène est comme partout ailleurs donc je ne peux parler que des gens avec qui je skate personnellement - ils défoncent tout. On skate les rues et on explore à la recherche de spots comme il se doit : au feeling, naturellement. C'est exactement ça que tu peux voir dans "Grey Area" ou "Neverwhere".
Danny Fuenzalida, switch wallride. Ph.: Matt Roy
Evidemment, comme partout, ici, il y a à boire et à manger ; je déplore notamment le déclin du street, ça me fend le coeur, mais j'imagine que c'est partout pareil avec la construction de tous ces parks parfaits, ça rend les skateurs trop fainéants pour bouger dans la rue. Les compètes deviennent l'obsession de certains, notamment chez les kids... Je suis trop vieux pour m'en soucier, ceci dit - je reste principalement concentré sur mon univers. Et je fais l'effort conscient d'essayer de comprendre ces nouvelles mentalités.
"Danny Fuenzalida et ses potes se sont avérés être de sacrés déconneurs,
et on est devenus bons amis"
Le filming de "Neverwhere" a été le plus ambitieux jusqu'ici, pour moi - j'ai plus de quarante ans, j'ai une famille avec une femme et deux filles, et je travaille à plein temps, donc tout le temps à consacrer à cette vidéo, je devais le puiser dans ce qui me restait de cet emploi du temps. Ca a sûrement été très difficile pour les skateurs, on devait quand même planifier chaque session, parfois on ne filmait rien pendant des semaines, et puis d'un coup on se retrouvait subitement à glaner des clips, avec plus de pression et moins de temps à chaque fois... Mais au final ils ont tous géré, je suis fier de chaque membre de l'équipe.
Je voudrais en profiter pour remercier mon adorable femme Ania et mes enfants d'avoir été si patients.
LSM : Le soleil de Miami, personnellement, je ne m'attendais pas à l'entrevoir dans une vidéo Grey Area ; paradoxellement, ça rajoute du frais au reste du corpus d'images grises, comment ces connections se sont-elles mises en place ? Tu avais déjà rencontré Danny Fuenzalida auparavant ?
Kuba : J'ai toujours été fan des vidéos MIA ; "Last of the Mohicans" et "Welcome to MIA" sont clairement dans mon top dix.
Danny Fuenzalida, frontside smith grind. Ph.: Kuba Baczkowski / Barrier Skate Mag
En 2013, j'ai eu une ouverture pour m'y rendre gratos, du fait du boulot : j'avais une réunion là-bas et j'étais libre de m'y rendre plus tôt pour quelques jours de vacances si je le désirais. Plutôt que de m'y pointer pour glander à la plage, j'ai essayé de connecter avec des locaux pour aller filmer - c'était d'ailleurs la première fois de ma vie que je contactais des inconnus pour aller filmer.
Au début j'étais très timide et puis tout s'est très bien passé, Danny Fuenzalida et ses potes se sont avérés être de sacrés déconneurs, et on est devenus bons amis.
Danny Fuenzalida, switch backside nosegrind. Ph.: Kuba Baczkowski / Barrier Skate Mag
Ce trip a été très productif, Fuenz et ses potes étaient en feu, et l'un de ses amis, Manny Mo Massens, nous rejoignait tout le temps et a accumulé plein d'images. Dès ce moment j'ai su que je reviendrais filmer sur place pour la vidéo, ce que j'ai fini par faire quatre fois supplémentaires, avec ou sans Euro boys.
Manny Massens, kickflip. Ph.: Matt Roy
Miami est génial, pour le skate comme pour les vacances. Leur scène est similaire à la scène européenne : ils skatent des spots tordus et ce, loin des projecteurs. Big up to Miami and its skate scene and locals!
Danny Fuenzalida, switch frontside kickflip. Ph.: Matt Roy
LSM : Filmer avec Danny, c'était comment ? Surtout sur des spots de chez lui, pour ton objectif - ça a du te paraître assez fou, un genre de réalisation que dans ce monde, tout peut arriver, non ?
Kuba : C'était génial. Pour commencer, Danny est trop cool comme mec, ça aide. Evidemment, j'étais à bloc de le filmer mais il était suffisamment relax pour me donner l'impression que je filmais juste un Polonais ! Les sessions de potes, genre.
Danny Fuenzalida, wallie. Ph.: Matt Roy
Danny a une approche très particulière des tricks, c'est un vrai scientifique : il analyse le moindre aspect de son spot et de son trick, il se doit d'être conscient du moindre de ses mouvements du cheveu à l'orteil pendant le trick - j'ai trouvé ça fou, et marrant à documenter.
Switch ollie. Ph.: Kuba Baczkowski / Barrier Skate Mag
LSM : Vous avez fait combien d'avant-premières pour "Neverwhere" ? Comment ça se passe, tout ça ? Tu peux résumer la vidéo en quelques mots, pour capter l'intérêt des gens ? A quel point ton travail est-il influencé par celui de Pontus Alv, à quand remonte votre connection ?
Kuba : On a fait pas mal d'avant-premières, peut-être une quinzaine. Tout s'est déroulé au top, je suis content. Comme je le disais plus tôt, c'est s'agit à 100% du skate street pur de mes potes ; et puis la vidéo représente tout un tas d'évènements et d'expériences qu'on a personnellement traversés, beaucoup de rires, de larmes, de recherches de spots, d'amitié, de folie et encore plus de rires.
"On adore se disputer et on a des opinions divergentes sur des tas de sujets"
Ca fait des années qu'on est potes avec Pontus, Juras a skaté pour lui pendant des années. On s'est rencontrés à Varsovie juste après qu'il aie fini “The Strongest of the Strange”, et puis on a commencé à se rendre visite.
Kuba & Pontus Alv. Ph.: Kuba Baczkowski / Barrier Skate Mag
C'est difficile d'estimer l'impact qu'il a pu avoir sur moi, mais il en a clairement eu un. C'est à cause de lui qu'on a commencé à bricoler nos spots, c'est clair ! Sinon, on adore se disputer et on a des opinions divergentes sur des tas de sujets.
LSM : OK Kuba, on termine avec la question classique : qu'as-tu pour projet en ce moment, bosses-tu sur quelque chose de nouveau ? Dans la veine de "Neverwhere" qui est sous-titrée "This Is Not The New Grey Area Video", ça va s'appeler "Next Area" ou "Grey Generation"?
Kuba : A chaque fois que je termine une vidéo, je nous promets, à moi et à ma femme, que c'était la dernière et qu'après la deadline, je prends ma retraite ; sauf qu'à chaque fois, l'énergie des gens qui matent mon boulot me motive à me réinvestir. Ceci dit, je pense que je ne referais pas de full-length de si tôt, faute de temps.
Donc peut-être que je vais me mettre à sortir des plus petits trucs - j'ai quelques idées, encore à mettre en place, j'attends quelques confirmations.
J'essaierai peut-être de passer au HD, ça m'a toujours fait chier mais ça pourrait être un bon défi.
L'année dernière, je suis devenu grand fan du Vladimir Film Festival et je voudrais vraiment y revenir avec quelque chose à présenter.
“Grey Generation” serait un chouette titre. Donc voilà, je ne raccroche pas les gants ni la VX, je fais juste une pause et puis j'y retourne !
Merci d'avoir consacré du temps à la lecture de ces lignes ; maintenant, sortez de chez vous, et trouvez votre zone grise à exploiter !