MIMPI FILM FESTIVAL / "Ruído" / PREMIERE

Malgré le développement des connexions Internet instantanées, des réseaux sociaux, des vols low-cost... et autres technologies facilitant la tâche du skateur moyen désireux d'en rencontrer d'autres, skateurs moyens, afin de découvrir de nouveaux paysages et de nouvelles âmes, certains horizons plus ou moins bien définis persistent encore à se retranscrire. Parfois l'idée s'exprime, mais s'échoue en route, fatiguée de la longueur du voyage, se heurtant à la barrière de la langue. N'est pas anglophone, connecté, voire intéressé qui veut ; un facteur de communication non négligeable qui frit la ligne et nous gêne dans notre curiosité du monde. On a envie de tout connaître ! Aujourd'hui sur LIVE, c'est Pedro Damasio, son travail et celui de ses acolytes dans le cadre du festival photo et vidéo de skate brésilien : le Mimpi, que vous rencontrez. On s'y est rendu deux années consécutives, on a adoré ; l'évènement est une fourmilière de passionnés venant des quatre coins du continent - voire du monde - pour se rassembler, et échanger et ce, transcendant cette soupe d'imagerie populaire de la board culture, pourtant exploitée de front dans la communication autour du festival. Derrière les bannières, les organisateurs s'amusent avec des concepts : fin 2017, la dernière édition en date du Mimpi était focalisée sur le son, le bruit : c'est ça, "Ruído". Le clip récapitulatif de ladite édition, ci-joint, expérimente, explore, tâte, se cherche, se tâte, cherche. Une part de Pedro n'ayant jamais vraiment grandi, il y a également eu beaucoup de skate car après tout, c'est à lui qu'on doit tout et cette réalité, aucun des mordus du Mimpi ne l'a jamais oublié.

LIVE Skateboard Media : Hello, Pedro ! Donc, tu es la tête pensante derrière ce festival de vidéos de skate organisé au Brésil chaque année : le Mimpi. Comment l'idée d'un tel évènement t'est-elle venue ? Quelles étaient tes motivations, à l'origine ; puis, comment ont-elles évolué, au fur et à mesure que le Mimpi s'est développé au fil des ans ? L'ampleur du festival est de plus en plus grandiose et ce, à chaque édition... Maintenant, vous en arrivez à déterminer un concept pour chaque année, c'est ça ?

Pedro Damasio : En fait, je n'en suis qu'une seule des principales têtes pensantes ; on est un petit groupe à se rassembler, tous les ans, pour échaffauder l'organisation du festival, à partir de zéro à chaque fois.


Ph.: Juliana Rocha

L'aventure Mimpi a démarré il y a six ans dans ma ville d'origine : Porto Alegre, dans le sud du Brésil. L'idée de départ n'était pas la mienne : au début, on m'a seulement demandé de présider le jury skate, à l'occasion de la première édition. A l'époque, c'était plutôt un festival de surf, d'ailleurs ; le skate, c'était l'élément parasite du festival [rires]. L'année suivante, j'ai à nouveau proposé mon aide et on m'a carrément inclu dans l'équipe. Et depuis, j'y suis demeuré.

"Il n'existait aucune autre initiative de ce type en Amérique du Sud ; le festival s'est rapidement fait connaître, tant ici qu'à l'étranger"

Pour contextualiser, Porto Alegre est surtout réputé pour le surf, ici : c'est la ville non côtière avec le plus grand nombre de pratiquants de cette discipline, à une centaine de kilomètres d'un spot particulièrement redoutable. C'est également le lieu de provenance d'un paquet de skateurs brésiliens connus : Marlon Silva, Luan de Oliviera, Carlos Iqui et plein d'autres, qui ont grandi sur les curbs de la légendaire plaza IAPI. Bref, la ville est imprégnée de ce qu'on prétend être la "board culture", du coup cela tombait sous le sens que d'y organiser un évènement fédérant surfeurs et skateurs autour de leurs productions audiovisuelles, notamment locales.

Puisqu'à l'époque, il n'existait aucune autre initiative de ce type au Brésil, voire en Amérique du Sud tout court, le festival s'est rapidement fait connaître, tant ici qu'à l'étranger. On a commencé à recevoir un paquet de films en provenance du monde entier, donc on a commencé à envisager l'idée de transformer l'évènement en "vrai" festival de film.


Ph.: Rafael Di Celio
 

Ph.: Bruno Machado

Le moment charnière, c'était en 2014, quand on a décidé pour la première fois d'organiser le Mimpi ailleurs qu'à Porto Alegre : à Rio De Janeiro, plus précisemment. C'était risqué, mais finalement, la scène locale a accueilli le festival à bras ouverts. En plus, ça l'a rendu plus accessible, pour les Brésiliens comme pour les étrangers en général, donc depuis, Rio est devenu la ville officielle du Mimpi.

En ce qui concerne le choix de concepts propres à chaque édition, c'est une façon comme une autre d'avoir une ligne directrice, une inspiration quant à la programmation du festival. Qu'il s'agisse de l'identité visuelle ou encore de la commission des expositions, des ateliers, des invités, des musiciens... Ca n'est pas quelque chose de fixe, mais plutôt un moyen qu'on se donne pour explorer un maximum de possibilités.

Ces concepts sont généralement en rapport avec certains aspects intrinsèques au processus de la production audiovisuelle - parfois de façon assez abstraite ou sinon, plus explicite, comme le thème de l'année dernière qui était le son, le bruit ("ruído").


Felipe Oliveira, hippy jump. Ph.: Pedro Damasio

LSM : Oui, c'était bien le son qui faisait office de thème pour l'édition 2017 ; d'ailleurs, comment cela s'est-il imposé à vous ? Et comment avez-vous mis ça en place ? Quid des autres concepts que vous avez développé par le passé, et peut-être déjà une idée quant à celui autour duquel s'articulera la prochaine édition ?

Pedro : En général, on choisit un thème voué à nous inspirer toute la programmation du festival ; ce qui implique la considération de la partie surf en plus de la partie skate et ça, c'est tout aussi compliqué que ça en a l'air sur le papier.

Pour ce qui est du son en 2017, l'idée nous est venue quand on s'est rendu compte que celui-ci était finalement au premier plan de ce qu'on présente à chaque édition du Mimpi : entre les bruits de la pratique du skate et du surf, la bande-son des films qu'on projette ou encore la musique des groupes et des artistes qui se produisent sur place, en fin de compte, c'est une dimension qui est en permanence à l'honneur.


Ph.: Juliana Rocha
 

Hernando "Naño" Ramirez. Ph.: Fred Mortagne

Outre les projections de films et les concerts, on a réussi à intégrer le concept comme fil conducteur de l'évènement de par la programmation, par exemple, d'activités telles que l'atelier sonore participatif conduit par les musiciens skateurs du duo Morcego de Là, dont on peut d'ailleurs glaner un aperçu dans le documentaire récapitulatif de l'évènement : comme une catharsis bien sonore, bien folle [rires]…

"“corre” : "courir" en Portugais, mais aussi un mot d'argot désignant la production par l'expression personnelle et ce, par n'importe quel moyen"

L'année précédente, le concept était “trans / borda” qui peut littéralement se traduire par "débordements". A l'occasion de cette édition, l'idée était d'explorer certains sujets en lien avec le skate et le surf comme si ceux-ci débordaient des scènes et des écrans, pour inonder la zone du festival (est-ce seulement compréhensible, ça, au moins ?).

Pour 2018, on galère encore un peu avec le thème, mais ça devrait être en rapport avec “corre” : "courir" en Portugais, mais aussi un mot d'argot désignant la production par l'expression personnelle et ce, par n'importe quel moyen. A vrai dire, à cette époque de l'année, on devrait déjà être fixés pour ce qui est du concept, là, mais... Tu sais ce que c'est.



Ph.: Fred Mortagne

LSM : A combien estimerais-tu le nombre de personnes travaillant sur le festival ? Et qui a réalisé le docu vidéo ?

Rio De Janeiro étant une métropole densément peuplée, à combien de personnes estimerais-tu le public du festival cette année ? Crois-tu qu'un aspect particulier de l'évènement attire une majorité des gens ?

Puisque c'est aussi un festival de surf (pratique qui a une ampleur phénoménale à Rio) et de soirées dans des endroits plutôt exotiques, le skate n'est pas le souci principal de la plupart du public, si ? Cependant, Mimpi persiste à rassembler un grand noyau dur de vrais skateurs sincèrement passionnés, qui ne demandent qu'à interagir avec autrui et d'échanger au sujet de leur scène ; nombre d'entre eux sont également activistes de leurs communautés respectives (filmeurs, photographes) et Mimpi les implique directement dans de vraies conférences. Gérer cette diversité, est-ce difficile ? Ou l'accueilles-tu les bras ouverts comme faisant partie du jeu ?

Pedro : Je trouve que ces barrières que l'on doit casser pour ne serait-ce que rassembler skate et surf au sein d'un même évènement, c'est justement l'un des défis les plus intéressants du Mimpi.

La communité skate a plutôt tendance à se méfier des autres cultures et semble avoir une dent notoirement dure contre le surf ; les skateurs s'en fichent en général, ou sont nourris d'idées reçues. Avec ça comme base de départ, c'était un vrai travail de fourmi que de rendre l'évènement crédible ; on a du procéder étape par étape, chaque année, pour se creuser une place mais justement, ce faisant, on s'est connectés avec un paquet de gens intéressants et c'est pour cela qu'on croise beaucoup de passionnés au Mimpi.

"Ces connexions improbables rendent le festival digne de tous les efforts qu'on investit en lui"

On a jamais eu en tête de créer un festival super core auquel seuls les geeks du skate, du surf et de la vidéo se rendraient. Notre idée est plutôt de célébrer ces cultures de façon multiple, et au final le public reflète cette diversité, ce qui est génial ! C'est cool de voir plein de surfeurs et de non-skateurs découvrir quelque chose de nouveau grâce au programme de vidéos de skate, ou encore de voir les participants interagir dans le salon de l'auberge de jeunesse ; skateurs, surfeurs, musiciens, artistes, des gens de partout. Ces connexions improbables rendent le festival digne de tous les efforts qu'on investit en lui.

Donc oui, c'est à bras ouverts qu'on accueille cette expérience humaine !


Vantte Lindevall reçoit son prix. Ph.: Juliana Rocha

Tout particulièrement en 2017, on a pu rendre le festival accessible à encore davantage de gens grâce à l'endroit qu'on a pu débloquer pour l'occasion : le Parque Lage est l'un des endroits historiques les plus réputés et les plus appréciés de Rio, en plus d'être très central et accessible ; les gens ont pu s'y rendre en nombre !

Ca a été notre plus gros succès, avec environ trois mille visiteurs sur la durée des quatre jours de l'évènement.


Ph.: Juliana Rocha
 

Ph.: Rafael Di Celio

En ce qui concerne l'équipe du festival, il y a un petit groupe de sept personnes en charge de l'organisation et des décisions principales. Mais une fois la production lancée, la bande s'agrandit et plus d'une trentaine de personnes s'impliquent, pour ce qui est des régisseurs mais aussi des commissaires d'expo, des producteurs, des designers, des chargés de communication...

"L'audiovisuel skate sera toujours notre point de départ, mais on aime explorer jusqu'où il est possible de s'en éloigner"

Pour ce qui est du clip vidéo, en gros, on a été trois à plancher dessus : Guilherme Becker, Lucas Neves et moi-même, avec quelques contributions précieuses d'autres filmeurs qui se trouvaient présents sur le festival.


Fernando Denti, fakie wallride. Ph.: Fred Mortagne

LSM : Ledit clip vidéo documentant l'édition 2017 est plutôt conceptuel, une démarche engagée dans la voie de la sincérité de ton approche avec le Mimpi. Essayez-vous d'explorer un certain champ des possibles avec le Mimpi, ou de transmettre un message ?

Pedro : C'est quelque chose qu'on travaille toujours, et peut-être pour toujours, à élucider.

Je pense que le Mimpi est basé sur les connexions entre les gens, les scènes, les arts... Et on poursuit la réalisation de nouvelles connexions en permanence.


L'expo de Fred Mortagne ! Ph.: Juliana Rocha
 

Ph.: Fred Mortagne

L'audiovisuel skate et surf sera toujours notre point de départ, mais on aime bien explorer jusqu'où il est possible de s'en éloigner.

LSM : La question suivante, de façon classique, on la pose en général en premier, dans un interview ; mais dans ton cas, la garder pour plus tard semblait plus appropriée... Maintenant qu'on mesure ta passion pour le skate, quid de ton historique personnel avec cette pratique ? D'où viens-tu, Pedro, quand et comment as-tu commencé le skate ? Et par la suite, comment t'es tu retrouvé à l'épouser au point de te retrouver à la tête d'un si gros évènement ?

Pedro : J'ai commencé le skate quand j'avais onze ans lorsque ma famille a déménagé de Rio pour aller s'installer dans une petite bourgade au sud du Brésil, où on est restés vivre trois ans.

Ce changement d'environnement a apporté une nouvelle perspective à ma vie car soudainement, j'étais capable d'explorer une ville entière tout seul, chose que je n'aurais jamais pu faire si jeune dans une métropole comme Rio.


Alexandre Neaime aka. Cotinz, noseslide. Ph.: Fred Mortagne

A l'époque, je suis aussi devenu à bloc de musique, et avec le skate ces deux éléments sont devenus indissociables de ma vie, et se sont imposées comme vecteurs de toutes mes amitiés. Depuis, rien n'a changé.

J'ai un peu décroché au cours de la vingtaine, mais je suis toujours resté dans le jus de cette culture, j'ai toujours eu une board ne serait-ce que pour me déplacer et finalement, au début des années 2000, le skate s'est de nouveau imposé à moi.

A cette époque, je produisais un magazine gratuit à Porto Alegre qui s'appelle Void, qui couvrait une vaste étendue de sujet dont le skate. Je collaborais aussi avec un autre magazine du sud du Brésil : Vista Skateboard Art. C'était là mon début en tant que producteur de contenu média, à écrire des articles et envoyer des photos aux magazines, produire des évènements et des vidéos pour notre marque locale, Yerbah Decks.

Quinze ans plus tard, les deux magazines existent toujours et collaborent entre eux : Void a produit Mimpi, et Vista est l'un des partenaires média du festival.


Ph.: Bruno Machado
 

Fred Mortagne. Ph.: Juliana Rocha

Ces dernières années, je n'ai pas pu skater autant que j'aurais voulu du fait de mon travail et de ma famille, et puis aussi à cause de mes genoux qui sont flingués. Mais je rêve constamment de skate. Je fais des rêves dans lesquels je rentre des tricks que je n'ai jamais pu rentrer en vrai…

LSM : La diffusion de « Vladimir » à cette dernière édition 2017 semble t'avoir particulièrement ému ; tu as carrément choisi la salle la plus belle du Parque Lage pour la dédier entièrement à la projection de ce film, comme un genre de sanctuaire.

Les organisateurs du Vladimir, festival de vidéos de skate organisé annuellement en Croatie auquel le film est dédié, oeuvrent dans un environnement à l'échelle bien moindre, mais parviennent malgré tout à générer une énergie semblable à celles des plus passionnés du Mimpi ; tu m'as aussi dit que le film "Vladimir" te rappelait les débuts de votre propre festival. Aurais-tu quelque chose à ajouter à cette réflexion ? Vois-tu un certain avenir dans ce type de festivals, et as-tu d'ores et déjà une idée de comment les connecter ?

Pedro : Ca fait un petit bail déjà que je me renseigne sur l'activité du Vladimir Film Festival, et bien que je ne m'y suis jamais rendu, j'ai toujours pu sentir le dévouement que transpirent les efforts d'implication de ces gens, chaque année. C'est quelque chose que je respecte grandement, donc je voulais que l'avant-première de “Vladimir” figure comme un moment spécial de la programmation du Mimpi.

Après avoir vu le film et discuté avec toi, c'était génial que de réaliser les similarités dans les histoires de deux festivals qui baignent pourtant dans deux réalités différentes. Je ne m'y attendais pas. Ca prouve qu'il n y a pas qu'une seule façon de faire bouger les choses : tout n'est que motivation et exploitation savante des ressources à ta disposition.



Aymeric Nocus, no-comply five-o. Ph.: Fred Mortagne

Et s'il y a moyen de collaborer avec d'autres organismes possédant eux aussi leurs propres ressources, de façon complémentaire comme nous nous appliquons à le faire, alors c'est parfait !

Ce premier lien avec Vladimir était vraiment chouette à mettre au point, on espère cultiver cette connexion !

LSM : Merci Pedro ! Quelques derniers mots, ou annonces au sujet du Mimpi ?

Pedro : Non… Pitié ! J'ai l'habitude d'être de l'autre côté du micro, pour ce qui est des interviews... Je sais à quel point ce passage est galère !

Mais merci beaucoup pour ce soutien incroyable et pour tout l'encouragement. On espère vous revoir cette année ! Benja doit revenir ; Braza misses Benja !


Hernando "Naño" Ramirez, ollie and kickflip. Ph.: Fred Mortagne
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