Franck Pierron / PREMIERE / "Tracked Movements"

Attention, O.V.N.I. ! Si le nom de Franck Pierron ne vous dit pas grand chose, ça n'est pas tant un souci générationnel (ou pas que) : le Monsieur a toujours plus ou moins œuvré dans l'ombre, notamment il y a plus d'une dizaine d'années à l'époque du magazine Chill (là, qui pour se souvenir ?), féru de cinématographie skateboardistique qu'elle soit à base de VX-1000, Super 8 ou 16 mm. L'œil de Franck cultive le détail, célèbre l'énergie ; sa passion pour son sujet se transmet et son application à la tâche s'exprime : c'est donc un régal pour le skateboard que son tiroir à cassettes et autres bobines empruntes de marques de sessions parisiennes mythiques, tandis que lui a suivi son bonhomme de chemin dans l'audiovisuel et travaille désormais pour la télévision. Heureusement pour nous tous, il n'a pas oublié son amour de jeunesse pour autant, et quand on a proposé à Franck de sonder ses archives dans le cadre d'une projection organisée dans le cadre du récent event "Das Days" à Paris il y a quelques semaines, il s'est prêté au jeu sans hésiter, pour la culture ! Le résultat : "Tracked Movements", titre un peu officieux improvisé pour l'occasion reflétant une certaine quête du footage perdu, mais aussi le concept élémentaire du filming en skate et bien d'autres choses encore, qu'on vous laissera le soin d'imaginer. Bref, peu importe l'habillage : ce qui compte, c'est que l'enthousiasme et la passion de Franck aient survécu à ces quinze ans, et se manifeste en 2018 sous la forme de cette capsule temporelle blindée d'images inédites et de styles de légende(s), reflet d'une scène parisienne qui, aujourd'hui encore, doit énormément aux mordus et autres activistes qui s'y voient représentés. Et une fois n'est pas coutume, LIVE Skateboard Media a saisi au vol l'opportunité de soumettre l'auteur desdits clips au désormais traditionnel traitement du "En 5 !". Merci, Franck !

LIVE Skateboard Media : Bonjour Franck, quand toutes ces images ont-elles été filmées exactement ? A quelle période du skate à Paris correspondent-elles, te souviens-tu d’à quoi ressemblait la scène à l’époque ? Les personnalités fortes, les spots, les shops peut-être ?

Franck Pierron : Ces images ont été tournées entre 1999 et fin 2000, début 2001 maximum.

A quelle période cela correspondait ? Et bien, si on considère qu'en 1990, 1995, on était à fond de tricks techniques (pressure flip, double flip, nollie flip...) aussi vulgairement appelé "tricotage", je dirais qu'on était dans la période "gros" du skate : plus de marches, plus de gap, plus de handrails... Pour faire simple : bigger, better, faster. D'ailleurs, la progression ne s'est pas arrêté depuis.

Pour moi, la scène à Paris était divisée en deux clans : il y avait le clan Street Machine / SuGaR d'un côté et le clan Snowbeach Warehouse / Tricks Skate Mag [magazine français défunt de longue date, NDLR], ainsi que quelques électrons libres qui n'étaient rattachés à aucun clan. J'ai toujours aimé passer d'un clan, d'une clique... à l'autre : c'est ce qui me permettait d'avoir un peu un pied partout, peut-être au détriment de n'appartenir à personne mais bon, la liberté mérite bien une contrepartie !

"[Vassili Ritter] était le visa pour la Déf'..."

Les spots de l'époque ? C'était Bercy, la Déf' (la Défense), le Dôme, la mairie de Créteil... Tous ces lieux étaient des gros aimants à skateurs : on était à peu près sûr de retrouver des potes pour une session. 


Franck à Rome en 2000. Tournée Cliché ! Ph.: Leo Vernhet

En tant que filmeur, j'ai toujours été à la recherche de nouveaux spots, et Vassili (que je pourrais surnommer "le roi de la Def'") était bon pour dégoter des spots, surtout que la Def', ça n'arrêtait jamais de s'étendre. Il était le visa pour la Def', il connaissait tout le monde : aucune embrouille à la Déf' possible avec Vassili. J'en profite pour préciser que certaines de ses images dans ce montage, celles où il est habillé en beige, ont été filmées par Philippe Leweurs.

"C'était un investissement une camera avec un fish-eye à l'époque, surtout quand tu es au chômage"

Samir Krim lui connaissait beaucoup de spots à Paris intra-muros : il était le guide pour les nouveaux spots peu ou pas connus.

Comme je te disais un peu plus tôt, il y avait deux shops intra-muros (dont je me souvienne...) : Street Machine, rue Bailleul et Snowbeach Warehouse, qui est toujours situé sur le Boulevard Richard Lenoir. Il s'agissait vraiment des lieux où on squattait avant de partir filmer ou skater, on s'y retrouvait pour mater des vidéos (sur VHS ou DVD, pas de YouTube à l'époque, c'était certainement mieux), ça motivait les troupes pour aller skater, et on y développait un bon sens de la camaraderie.

LSM : Qui as-tu été amené à filmer au cours de cette période ? Comment les connexions se sont-elles établies avec chacun, et avec qui retiens-tu finalement les meilleurs moments (ou les histoires les plus cocasses) en session ?

Franck : J'ai été amené à filmer pas mal de gars, William Phan, Vassili Ritter, Vincent Bressol, Samir Krim, Stéphane Larance, Franck Barattiero, Tony Brossard, Mathieu Levaslot, Yann Garin, Luy-Pa Sin, Jon Monié, Mathieu Cuvelier et aussi quelques américains de passage. C'était soit par l'intermédiaire des shops, soit le bouche à oreille, soit que nous faisions connaissance pendant des contests ou sur les spots.

En tant que filmeur, nous n'étions pas nombreux sur Paris à cette époque, c'était un investissement une camera avec un fish-eye à l'époque, surtout quand tu es au chômage.

LSM : Pourquoi as-tu commencé à filmer du skate, exactement ? Peux-tu nous retracer ton parcours et nous décrire ton activité à l'époque ?

Franck : J'ai commencé le skate parce que les sports d'équipe m'emmerdaient, surtout quand tu dois obéir à un coach qui est con comme ses pieds - c'était le cas du prof de judo que j'avais quand j'étais ado, ça m'avait pas mal saoulé à l'époque. 

C'est pour ça que j'ai bifurqué vers le skate. J'étais pas trop mauvais en skate technique dans les années 90-95, mais je me suis vite rendu compte que je n'allais pas être le prochain Tony Hawk ou Matt Hensley, donc autant passer à la caméra. 


Franck en 3.6 flip !

Je ne sais pas comment c'est venu ; naturellement je crois, parce que dans le skate on est tous un peu créatifs (à l'époque, il restait plein de tricks à créer) et sensibles à l'art, de par les vidéos qu'on regardait à l'époque.

"A l'époque, regarder les vidéos TransWorld, c'était mieux qu'un cours théorique sur le film"

Le "pourquoi j'ai commencé à filmer du skate" est assez simple à expliquer : filmer du skate, pour moi, c'était la suite logique de ce que j'aimais faire, j'adorais regarder les vidéos de skate - on parle des Powell, style "Public Domain" ou des H-Street telle que "Shackle Me Not", en passant par les Santa Cruz. 

J'ai regardé tellement de vidéos depuis quand j'ai commencé le skate que ça a été mon école du film à moi : j'ai appris sur le tas, qu'il s'agisse de filmer en vidéo ou en Super 8 ou 16 ou Super 16 mm.

Il faut dire que pour moi à l'époque, regarder les vidéos TransWorld (qui étaient très créatives), c'était mieux qu'un cours théorique sur le film, ça développait chez moi un certain langage visuel, un sens du rythme au montage ou à la prise de vues.  

Au début des années quatre-vingt-dix, j'ai fait quelques critiques de vidéo de skate pour B-Side (magazine de l'époque), j'avais accès assez facilement aux nouvelles cassettes comme ça, via le magazine ou V7 Distribution. 


Franck en noseslide ultra vintage à Tours !

Puis quelques années plus tard, j'ai été vendeur / gérant d'un petit shop de skate à Tours, et j'ai dû partir à l'armée, suite à quoi le dirigeant du shop n'a pas souhaité me reprendre. Je me suis donc retrouvé au chômage et j'en ai profité pour parcourir un peu la France et filmer à l'occasion ici et là, à Nantes, à Toulouse, à Rouen...

A l'époque, Bud Skateshop venait d'ouvrir à Rouen et avec Paul Labadie on avait filmé la "Data", une vidéo de vingt-deux minutes qu'on avait réalisée en 1998. J'étais venu à Rouen, le PC de montage (chose rare à l'époque) sous le bras et on s'était mis la mission pendant quatre mois non stop : on filmait l'après-midi, on montait le soir ou la nuit et on dormait le matin, on avait réussi à motiver les gars... Avec le recul, je trouve qu'on avait pas assez filmé d'images "d'ambiance", mais ça c'est anecdotique.

"Le très jeune Lucas Puig, il devait avoir neuf ou dix ans à l'époque, je crois..."

Puis après en 1999, je suis allé faire une vraie formation de montage à Toulouse et c'est là que j'ai filmé les locaux : Fabien Martin, JJ Rousseau, Guy Dauriac et le très jeune Lucas Puig, il devait avoir neuf ou dix ans à l'époque, je crois... 

Une fois la formation terminée j'ai décidé de monter à Paris parce que le job en TV, c'est à Paris et pas ailleurs.


Franck, caméraman pour la chaîne CTV au Canada.

LSM : préférais-tu filmer à Paris ? Il y a beaucoup d’images à La Défense, dans le clip. C’était une scène dont tu étais particulièrement proche ? Accordais-tu beaucoup d’importance à l’architecture environnante, sur les spots où tu filmais, étais-tu sélectif question esthétique, préférais-tu montrer certains décors et certains styles ?

Franck : Je n'avais pas de lieu favori en particulier, mais disons que visuellement c'était plus sympa d'aller à la Déf' que de squatter à Bercy. 

A la Défense, l'architecture est top, ce sont des immeubles : nous ne sommes pas à N.Y.C. et ce ne sont pas les buildings de Manhattan, mais ça s'y apparente. 

A dire vrai, je ne sais pas si j'y accordais une grande importance, ou alors ça devait être de manière inconsciente. J'allais plutôt là où les skaters qui étaient disponibles voulaient aller.

Et oui, il y avait une certaine "sélectivité" du fait que je préferais filmer au grand air que de devoir aller filmer des lignes dans un parking souterrain à la Déf' ou ailleurs dès qu'il pleuvait... Et il pleut souvent à Paris.


Franck et Kareem Campbell en 1999, démo Axion à Créteil !

LSM : Que retiens-tu de la projection du clip à la soirée Das Days ? Quel a été ton ressenti face aux réactions des jeunes générations devant ces images ? Correspondaient-elles à ce à quoi tu t’attendais ? T’ont-elles motivées pour une quelconque suite, s’il te reste des archives ?

Franck : Difficile à dire ; c'est une première pour moi, j'ai plus l'habitude d'être discret derrière la caméra ou l'ordinateur de montage que d'être dans la lumière, mais ça fait plaisir que les gens demandent à voir de vieilles images, j'aurai plaisir à continuer de faire des montages avec mes archives, c'est sûr, ça a été motivant pour en faire plus.

Merci à Live Skateboard Media, à Ben Deberdt pour l'opportunité et à Aymeric Nocus pour le montage.

Merci pour le bon temps passé avec mes potes François, Arnaud et Mathieu, merci aussi à Seb Carayol, Florian de Bud Skateshop (on fait un film pour la prochaine ?), Paul Labadie, Philippe Leweurs, et tous ceux qui m'ont aidé sur le chemin et qui ont accepté d'être filmés, que ça soit à Tours, Orléans, Paris, Rouen, Nantes, Toulouse...

Au plaisir de refaire ça prochainement !

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